© 1986 Hayao Miyazaki/Studio Ghibli

Hayao Miyazaki, un artisan du réenchantement

Animer - du latin anima, respirer - c’est insuffler la vie, donner de l’âme. Le réalisateur Hayao Miyazaki, célèbre fondateur du Studio Ghibli, est de nos jours l’un des grands maitres de cet art. Si vous croyez que l’animation japonaise n’est pas votre tasse de thé, laissez-vous détromper par ce vieil artiste pétri par la tradition spirituelle shintoïste. Son œuvre, d’une grande poésie, a bien peu en commun avec les Pokémon.

Né en 1941, Miyazaki est l’artisan principal de 12 longs métrages d’animation acclamés dans le monde entier. Deux fois oscarisé, il quitte sa retraite en 2023 pour faire paraitre Le garçon et le héron, opus qui lui vaut une 3e statuette à l’âge de 83 ans. Mais il aurait cette fois-ci rangé son crayon pour de bon.

Pendant plus de 40 ans, l’artiste nippon s’est entêté à produire lentement, entouré d’une petite équipe, des films essentiellement dessinés à la main rivalisant avec les productions des géants de l’industrie. À quel besoin inassouvi répond donc son œuvre pour susciter tant d’admiration?

Oublier sa montre

Une profonde paix, une grande beauté et un sentiment d’espérance; telles sont les impressions qui nous accompagnent pendant les heures qui suivent le visionnement des films de Miyazaki. Comment est-ce possible? Ses histoires ne font pourtant pas l’économie d’étrangetés, de créatures enragées et cauchemardesques et de personnages à la malveillance terrifiante.

En effet, une grande catastrophe est toujours la trame de fond de ses longs métrages. Les films adressés aux enfants mettront en scène, par exemple, la maladie d’une mère, alors que les films plus matures seront souvent sur trame de guerre, de tragédie personnelle, voire de destruction de la civilisation. Miyazaki refuse de tomber dans la facilité, il prend le problème de l’absurdité de la tragédie à bras le corps. C’est précisément à travers cette misère qui devrait être affligeante que pointe cette espérance qui perce l’écran.

  • Castle in the Sky
    © 1986 Hayao Miyazaki/Studio Ghibli

Témoin du merveilleux

À l’aide de son crayon, chaque détail du quotidien est soigneusement porté à l’écran avec amour et chaleur, sans empressement. Le train que l’on observe passer chaque matin nous fait sentir chez nous; l’herbe battue par le vent est invitante et apaisante; la nourriture cuisinée par les personnages, étrangement appétissante. Si l’on dit souvent que notre époque est désenchantée, Miyazaki ne semble pas avoir reçu le mémo.

Il y a aussi chez l’animateur japonais une fascination pour le ciel. Avions, dirigeables, balais de sorcière, créatures ailées et - comble de l’élégance - planeurs sont omniprésents dans toute son œuvre avec des plans de vue aériens grandioses. Les protagonistes, eux, ont pourtant les pieds bien sur terre. C’est par un service, un compliment inattendu, un travail vaillamment accompli qu’ils sont porteurs d’espérance. Ils font ce qu’ils peuvent, là où ils sont, et c’est suffisant pour mettre à mal le désespoir. Cette harmonie du ciel et de la terre laisse une impression que tout est à sa place: des grands idéaux spirituels jusqu’au parapluie percé qu’un petit orgueilleux ose partager avec une jolie fille.

Le documentaire 10 ans avec Hayao Miyazaki (2019) nous permet de mieux saisir ce personnage singulier. Les premières minutes nous montrent son rituel matinal: en entrant dans son studio vide, il salue à voix haute ceux qu’il appelle «les résidents». «Je ne sais pas qui ils sont, mais ils sont là», explique-t-il. Après avoir pris soin de rendre la cour avant accueillante pour les passants, il déballe sa nouvelle caméra vidéo et la fixe avec empressement au siège de sa voiture. Il souhaite filmer son trajet quotidien pour y «découvrir ce qu’il voit tous les jours». 

Dans une de ses citations les plus célèbres, il raconte: «À l’époque de mes grands-parents, on croyait que les esprits existaient partout… dans les arbres, les rivières, les insectes, les puits, etc. Ma génération n’y croit pas, mais j’aime penser que nous devrions chérir toute chose […] parce qu’il y a de la vie en tout.»

Regarder un Miyazaki, c’est emprunter la perspective singulière de ce créateur et donner une pause à la raison qui prétend comprendre le monde objectivement. C’est simplement l’habiter de façon toute subjective, ce monde, et porter attention à ses merveilles anodines qui semblent finalement participer à quelque chose de plus grand.

  • Spirited Away
    © 2001 Hayao Miyazaki/Studio Ghibli, NDDTM
  • Princess Mononoke
    © 1997 Hayao Miyazaki/Studio Ghibli, ND

L’essentiel est invisible pour les yeux

À ceux qui comprennent mal ses choix narratifs parfois déroutants, Hayao Miyazaki se contente de répondre : «les enfants, eux, comprennent. Ils ne procèdent pas par logique». Ses films ne sont pourtant pas tous adressés aux petits. Ils ont été créés pour tous ceux qui — comme le Petit Prince et Gerry Boulet — n’ont pas perdu la capacité de voir avec le cœur.

Par exemple, dans Porco Rosso (1992), pourquoi ce pilote déserteur est-il un homme-cochon? Il suffit d’interroger notre enfant intérieur pour y voir plus clair. Il sait, lui, qu’au fond il n’y a pas de réelle différence entre un traitre et un cochon! Au niveau du sens, ça fonctionne, tout simplement.

D’ailleurs, un nombre étonnant des symboles présents dans ces films résonne harmonieusement avec l’imaginaire chrétien. Par exemple, dans Le château dans le ciel (1986), la fille tombée du ciel rencontre le garçon qui travaille sous terre. Elle est l’héritière d’un royaume caché dans les cieux où se trouve un jardin emmuré protégé par de féroces gardiens, celui-ci abritant un grand arbre en son centre. La Jérusalem céleste de l’Apocalypse semble rencontrer l’Eden de la Genèse! De plus, la responsabilité envers la nature, l’amour des ennemis, la rédemption des mauvais et le sacrifice de soi, pour ne nommer que ceux-là, sont autant de thèmes chers à l’artiste.

Devrait-on conclure que Miyazaki est plus chrétien qu’il ne le laisse paraitre? La surabondance d’éléments inspirés de la spiritualité traditionnelle japonaise pointe dans une autre direction. Laissons-le plutôt nous présenter sa démarche: «J’essaie de pêcher mes propres rêves en lançant une ligne dans mon subconscient […] par delà la surface de mon esprit qui ne semble plus pouvoir m’aider, afin de trouver une façon intéressante de résoudre l’intrigue de mes films. Me rendre là est très difficile, c’est une lutte constante.»

  • © NHK

En réel artiste, il ne tente pas de nous convaincre de ses idées, mais cherche plutôt à écrire une histoire empreinte d’authenticité. Lorsque cela est fait avec suffisamment de profondeur, l’œuvre qui en résulte révèle ce qui habite le cœur de tout homme. C’est dans des cœurs bien semblables – demeure du Christ diront les chrétiens – que les textes sacrés juifs et chrétiens ont trouvé écho bien avant d’être mis à l’écrit. Avec ses mots, Miyazaki semble indiquer que c’est à cette source qu’il puise ses images. J’ignore toutefois s’il aimerait cette interprétation.

Le réenchantement du réel

L’œuvre de ce cinéaste échappant à l’esprit systématique de l’analyse et laisse avant tout le spectateur dans l’admiration. Elle tient à une sorte d’attraction, de révérence devant quelque chose qui mérite d’être imité. Dans le cas des films de Miyazaki, cette chose à imiter est une vie pleine de sens, où les petites choses concrètes sont en harmonie avec les grands mystères de l’existence.

Ou plus simplement, c’est cette impression persistante qu’il vaudrait mieux habiter dans le village de la Vallée du vent que dans un condo de Lebourgneuf où mes voisins sont des étrangers!

Mais attention, Miyazaki ne nous invite surtout pas à abandonner la réalité pour quelque monde imaginaire. Au contraire, il nous réapprend à regarder le monde qui nous entoure, nous aidant à y percevoir le merveilleux où il a toujours été: juste sous notre nez. C’est là, dans l’inépuisable enchantement du réel, que se trouve l’espérance dont notre monde se languit.

Jérémie Laliberté
Jérémie Laliberté

Jérémie Laliberté est animateur à la Villa des jeunes, centre de formation humaine et chrétienne pour les adolescents. Père de famille, étudiant en théologie et en philosophie, il s’intéresse à la manière dont les multiples phénomènes — de l’escalade au cinéma en passant par la psychologie et le symbolisme biblique — pointent vers un sens ultime, vers l’Unique nécessaire.