Photo: Marie Laliberté/Le Verbe

Balade au cimetière

Qui dit automne dit aussi saison des morts et de la visite au cimetière. Mais nous ne pensons pas d’emblée à une balade entre les tombes quand l’envie du grand air nous prend. C’est pourtant à cette activité que nous convie l’auteur du livre Le dernier repos, François Guillet. Il a parcouru plus d’une trentaine de cimetières d’un peu partout au Québec pour les décrire et les illustrer à sa manière. Et, admet-il, pour méditer un peu sur la vie et la mort. Avec lui, découvrons trois d’entre eux.

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Nous nous donnons rendez-vous au cimetière Mount Hermon, dans Sillery, pour commencer notre parcours. Il s’agit d’une merveilleuse illustration du concept de cimetière-jardin. «Plutôt que d’avoir un endroit très lisse, très géométrique, c’est un endroit où on laisse la place à la nature. Il y a souvent des chemins sinueux qui relient différents petits ilots de nature, pour mettre en valeur l’environnement», nous explique François Guillet. Cela se constate aisément lorsqu’on se promène dans ce grand terrain vallonné et boisé avec vue sur le fleuve.

Contrairement aux cimetières catholiques, les statues et autres symboles religieux se font plutôt discrets dans les cimetières protestants comme Mount Hermon. La simplicité visuelle des tombes, mausolées et autres croix celtiques envahies par la mousse offre au visiteur un décor propice à la contemplation et à la réflexion.

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Transformer l’angoisse

Lorsqu’on lui demande d’où lui vient cet intérêt pour ces lieux qu’on pourrait considérer comme lugubres ou effrayants, François Guillet nous confie qu’«à la base, c’était une question plus personnelle, c’était une angoisse que j’avais moi-même vis-à-vis de la mort. J’avais une inquiétude, je me demandais comment vivre ça, et plutôt que de la repousser et de l’éviter, j’ai voulu m’y confronter.» S’intéresser aux cimetières lui a permis de considérer différentes conceptions de la mort, et d’ainsi apprivoiser sa peur.

Le dernier repos présente quelques exemples de lieux inspirants à visiter. Les descriptions sont accompagnées de dessins d’une simplicité et d’une délicatesse remarquables. François Guillet s’inspire d’une technique qu’il appelle le «croquis urbain», un style qui permet des représentations très personnelles des impressions que laissent les endroits dessinés.

Mais, au-delà de ses motivations personnelles, il y a selon lui plusieurs bonnes raisons de visiter les cimetières. La première est historique: «C’est comme un grand livre d’archives à ciel ouvert, chaque tombe nous donne beaucoup d’informations sur l’histoire locale.» En plus du nom et des dates de naissance et de décès, on mentionne souvent le métier et parfois des devises qui témoignent de l’esprit de l’époque, comme «Vertu et justice» ou encore «Home sweet home».

Une autre raison est l’accès que les cimetières offrent à tout un art funéraire qui tend aujourd’hui à disparaitre. Les statues, anciennes ou modernes, et les différents symboles et ornements qui embellissent les lieux donnent un peu l’impression de se balader dans un musée à ciel ouvert.

Et le simple fait qu’il s’agisse d’un «lieu de promenade vraiment apaisant, à l’extérieur de l’agitation de la ville» constitue en soi une excellente raison de s’y rendre.

Beth Israël

Nous nous déplaçons ensuite vers le cimetière juif Beth Israël, qui se fait tout discret le long du boulevard René-Lévesque Ouest. Le contraste est frappant: pas de longs parcours vallonnés ici, seulement quelques rangées de tombes entourées de murets délimitant les quelques 300 sépultures. Malgré la proximité d’un boulevard très achalandé, l’effet d’apaisement décrit par François Guillet est palpable. Marcher lentement devant toutes ces tombes avec des inscriptions souvent en hébreu, être en présence d’autant de traces de vies passées, dispose au recueillement.

Le cimetière révèle aussi beaucoup la tradition juive. «Les juifs n’acceptent que l’enterrement comme façon de disposer des corps. L’incinération n’est pas permise. C’est pour ça que les tombes sont très cordées les unes à côté des autres avec peu d’espace entre elles, parce qu’il ne faut pas gaspiller une seule partie du terrain.»

Plusieurs symboles de la culture juive parsèment les pierres tombales. L’étoile de David, bien entendu, mais aussi des lions, la ménora (chandelier à sept branches), une Torah ouverte, les tables de la loi de Moïse ou encore deux mains en signe de bénédiction.

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Évolution et occultation

En entrant dans le troisième cimetière, celui de l’Hôpital général de Québec, l’auteur et illustrateur partage avec nous ses réflexions sur l’évolution de la perception de la mort au fil du temps.

«Au Moyen-Âge, la mort était un destin commun, familier. Il n’y avait aucune distinction des tombes, tout le monde était mis dans une terre commune, avec pratiquement aucun monument. Ensuite, vers le 18e siècle, il y a eu un processus d’individuation, la mort est devenue un phénomène personnel, et l’on a commencé à avoir des monuments pour chacun des défunts.»

Et maintenant? Ce qui caractérise notre rapport actuel à la mort relève selon lui d’une forme d’occultation du phénomène. «On veut passer le plus vite possible sur le thème de la mort, on veut l’éviter.» Le choix de plus en plus fréquent de l’incinération participe selon lui à cette dynamique. «Les cérémonies sont écourtées, puis on est moins portés après ça à aller visiter l’urne», même si on peut trouver quelques jolis columbariums intégrés à certains cimetières.

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C’est un peu pour contrer cette tendance à l’occultation que François Guillet a décidé d’écrire son livre. «On ne peut pas vivre en niant cette réalité-là. C’est l’horizon de notre vie, ça détermine comment on va la mener, ce qu’on va faire du temps qu’il nous reste, quel legs on veut laisser aux autres. C’est important de réfléchir à la manière dont on conçoit la mort, ça peut donner un sens à nos jours, à notre existence.»

Plusieurs éléments expliquent la volonté de se cacher la réalité de la mort et d’en faire un tabou, selon l’auteur. Il y a d’abord le culte du bonheur: «On veut tout ce qui est joyeux, tout ce qui contribue à notre bonheur. C’est sûr que contempler la fin de son existence, c’est opposé à ça.» Il y a aussi le fait que notre attention est constamment tournée vers les exigences d’un mode de vie qui roule à toute allure, orienté vers la productivité et l’efficacité à tout prix. Les nombreuses obligations du quotidien laissent peu de temps aux réflexions plus «métaphysiques» sur les grands sujets comme la mort.

Des croquis et des mots

Voilà à quoi peuvent servir les cimetières: nous faire prendre un temps d’arrêt pour réfléchir à des questions essentielles en prenant une bonne grande respiration. Contempler les traces du passé remet les choses en perspective. C’est du moins ce à quoi nous invite François Guillet dans Le dernier repos. Ce petit livre donne envie de faire l’expérience vécue par l’auteur en allant à son tour visiter ces lieux pleins de mémoire et de beauté.

Stéphanie Grimard
Stéphanie Grimard

Après avoir enseigné la philosophie au collégial durant plusieurs années, Stéphanie est maintenant journaliste chez nous! Toujours à la recherche du mot juste qui témoignera au mieux des expériences et des réalités qu’elle découvre sans cesse.