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Valérie Laflamme-Caron
Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.
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Un enfant si je veux
C’est un midi comme les autres à la salle à manger du personnel. On discute de banalités. La conversation glisse, comme bien souvent, sur les enjeux familiaux. Une collègue annonce son intention de tomber enceinte d’ici la fin de l’automne. Pour des raisons logistiques, ce serait un moment propice pour accueillir le petit deuxième. Je suis contente pour elle. Mais l’échange me ramène à ma propre incapacité à avoir un enfant quand je le veux. Récemment, le diagnostic est tombé : infertilité secondaire. Ça ne dit pas grand-chose. Seulement qu’il n’y en aura pas de facile. Je connais plus de femmes,
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Des spectacles de violence
Le film débute par un plan bucolique. Une famille piquenique le long d’une rivière. Les adultes se prélassent au soleil pendant que les enfants badinent dans l’eau. Les oiseaux piaillent. L’apéro est servi. On aimerait y être pour prolonger l’été encore un peu. Le cinéphile sait que l’accalmie sera brève : lorsque les protagonistes rentrent à la maison, on devine en arrière-plan le camp d’Auschwitz. Dès lors, les bruits de cette industrie de la mort ne nous quitteront plus. Le génie de Jonathan Glazer, réalisateur de La zone d’intérêt, est là. En juxtaposant les sons qui émanent du camp aux scènes de
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Voir grand
Le collège où je travaille est plus ancien que la Confédération canadienne. À chaque fin d’année scolaire, je me fais un devoir de rappeler aux élèves qu’à l’origine leur collège était une école de pauvres. Au moment même où débutait la Grande hémorragie, des religieux se sont engagés à éduquer les Canadiens français afin qu’ils puissent défendre un jour les intérêts de ce qui allait devenir le Québec. Pour atteindre cet objectif, il fallait offrir le meilleur aux plus nécessiteux. Quand je constate les conditions dans lesquelles travaillent mes collègues du secteur public, je me désole que l’on ait abandonné
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La porte ouverte
Quand j’ai quitté la résidence familiale, située en banlieue de Québec, je suis partie sans me retourner. Dans mon regard de jeune adulte, ce milieu de vie incarne alors tout ce que je dédaigne: le conformisme, le consumérisme et le matérialisme. Je rêve de vivre en centre-ville, dans un quartier où l’on fait ses courses à vélo. Les premières années, ça fonctionne. Puis j’ai trouvé un emploi en périphérie. Et j’ai eu un enfant. Petite misère de la classe moyenne Douze ans après mon premier déménagement, je retourne dans la rue de mon enfance. Je me sens comme une transfuge
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Héros sans cape
Parc du Massif du Sud, mercredi après-midi. Les élèves sont visiblement contents d’avoir terminé leur randonnée. Quelques-uns se sont dépassés et en sont fiers. Mais la plupart râlent et s’épanchent. Ils ont cru mourir, cette activité était une pure torture. Avec mes collègues, on prend ça avec un grain de sel. On sait qu’ils seront nombreux à s’inscrire encore la prochaine fois. Le gardien du chalet où nous nous réchauffons nous interpelle. La scène lui rappelle l’époque où il était lui-même intervenant dans une polyvalente. Il nous félicite de persévérer dans le monde de l’éducation: «C’est une vocation! Avant, vous
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La face cachée des «tout inclus»
Je n’aime pas l’hiver. J’ai tout essayé pour m’y faire: choisir des vêtements chauds, apprivoiser le ski de fond, m’astreindre à des marches en nature. Je finis toujours par aller dehors par devoir plus que par plaisir. Dès janvier, je fantasme sur l’été à venir. Quand mars arrive, je n’en peux plus. Je planifie un voyage dans le Sud, dans un «tout inclus», en me faisant croire que je vais y aller. J’ai cédé deux fois, en 2012 et en 2018, et me suis envolée pour La Havane. Écueils des voyages à rabais Si nous sommes si nombreux à visiter les
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Où sont nos plus belles années?
Les débuts d’année scolaire, empreints de promesses, m’émeuvent. Il faut voir les petits nouveaux, aussi inquiets que fiers, arriver par la grande porte. La fin des vacances marque leur entrée dans l’adolescence. À partir de maintenant, ils ne seront plus traités comme des enfants. Pour les encourager, on en trouvera toujours quelques-uns pour leur dire qu’ils s’apprêtent à vivre «la plus belle période de leur vie». Cette réflexion, pleine de bonnes intentions, est traversée de sous-entendus qui méritent d’être discutés. Jugement de valeur La mémoire faisant bien les choses, les souvenirs que nous chérissons sont souvent tronqués, déformés. Nous nous
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Mon Québec déraciné
Je suis nostalgique de l’époque où le nationalisme était, au Québec, associé à la gauche politique. À cause de notre statut minoritaire, nous pouvions nous identifier à d’autres peuples en marche pour la libération. Aujourd’hui, le spectre politique a changé. Cette année, je n’ai pas osé souligner la Saint-Jean en suspendant un fleurdelisé à mon balcon, de peur que ce soit mal interprété. Je crains d’être associée aux idéologues qui cultivent un sentiment national fondé sur la peur de l’altérité. Les boucs émissaires On accuse le gouvernement actuel de faire dans la catho-laïcité. Ce concept traduit un mouvement vers l’équilibre
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La mère porteuse et le Club des mères
Cela fait quelques mois que mon mari et moi espérons un deuxième enfant. Bien que nous ayons attendu notre fille durant quelques années, nous avons confiance qu’elle finira un jour par devenir grande sœur. Lorsque, si Dieu le veut, j’apprendrai que je suis enceinte, je sais que je vivrai des sentiments ambivalents. Les privations, les nausées, la prise de poids, puis l’accouchement et l’allaitement… Ces expériences, vécues dans l’intimité du corps, sont pour moi une épreuve. Si je pouvais en âme et conscience sous-traiter le processus, j’en serais soulagée. Externaliser la souffrance Il me suffirait de quelques milliers de dollars
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Une «culture de la vie»?
Comme la plupart des femmes, j’ai déjà pensé à ce que je ferais s’il m’arrivait d’être enceinte. À l’aube de la vingtaine, j’aurais vécu une grossesse non planifiée comme une tragédie et aurais possiblement choisi d’avorter. Aujourd’hui mère, je suis convaincue que l’enfant que j’ai porté constituait, dès sa conception, une vie humaine que je devais protéger. On dira que cette idée est fondée sur des croyances religieuses plutôt que sur la science. Cependant, l’histoire nous montre comment le statut de personne a pu être octroyé, ou refusé, en fonction de l’ethnie, du sexe, de l’état de santé… ou de
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Retrouver le véritable sens du travail
Pour des dizaines de milliers de finissants au Québec, la rentrée de janvier annonce l’échéance fatidique du 1er mars. Ils ont jusqu’à cette date pour s’inscrire dans un nouveau programme d’études, au cégep ou à l’université. L’agenda des conseillers d’orientation va se remplir. Ils rencontreront des jeunes tourmentés par des choix qu’ils pressentent déterminants pour leur avenir. À cet âge, je nourrissais moi-même de grandes ambitions. Quand on me demandait ce que je souhaitais faire plus tard, je répondais sans gêne: «Journaliste internationale, première ministre du Québec ou représentante du Canada à l’ONU.» Aujourd’hui, mon activité est plus modeste que ce
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«La vie spirituelle semble condamnée à disparaitre des établissements scolaires»
À la veille de la rentrée, l’automne dernier, nous avons appris le décès d’un éducateur employé par l’école secondaire où je travaille. Comme animatrice de pastorale, mon rôle était clair: je devais assurer l’accueil et l’accompagnement des jeunes touchés par cet événement. Pour certains, ce serait le premier contact avec la mort. En plus d’être ébranlés par la perte d’un proche, ils risquaient d’être troublés en se découvrant, eux aussi, mortels. Je venais de terminer de décorer la chapelle pour l’arrivée des élèves. À travers les tournesols et le matériel scolaire déposés au pied de l’autel, j’ai ajouté la photo
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Les centres commerciaux: un paradis perdu ?
J’ai une véritable passion pour les ruines, spécialement les vestiges de la modernité. Stades olympiques, parcs d’attractions, villages miniers : sur internet comme sur la route, j’aime visiter ces endroits qui nous rappellent les fantasmes d’autrefois. Ayant grandi dans la périphérie de Québec, j’ai pu observer de près la déchéance des Galeries de la Canardière, le premier centre commercial ayant été construit sur le territoire de la ville. Voué à être « revitalisé », il reste pour le moment déserté, tant des clients que des commerçants. Moi-même, je ne fréquentais plus vraiment les grandes surfaces, préférant me diriger vers des rues commerçantes ou
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De la dénonciation au pardon
Je viens de me lever après une nuit médiocre, passée aux côtés de mon nouveau-né. On est en plein mois de juin, c’est la canicule, le soleil qui passe à travers la fenêtre m’éblouit. Je tente de me réveiller en faisant défiler les nouvelles sur mon fil d’actualité Facebook. Soudainement, le visage d’un oncle apparait. Je lis les mots « décédé », « covid ». Pour moi, c’est la fin du monde : il y a six ans, j’avais porté plainte contre lui pour agression sexuelle. Le procès devait avoir lieu dans les prochaines semaines. Je fige. Tout ça pour rien? La charité mal placée
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Ces ados qui travaillent trop
Sur la route, au retour d’un voyage, je m’arrête dans un McDonald’s pour que ma fille puisse se dégourdir les jambes. Je termine ma crème glacée quand mon regard est attiré par une scène étonnante : un garçon haut comme trois pommes — j’exagère à peine — est en train de nettoyer les tables. Avec son uniforme format mini, il a l’air déguisé pour Halloween. Je n’ose pas lui demander son âge, de crainte qu’il soit atteint d’un retard de croissance quelconque. Je trouve un prétexte pour l’aborder et je me lance : il a treize ans. En réalité, ça ne me
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Êtes-vous coupables d’activisme mou ?
À peine deux jours après le début de l’invasion russe, il était possible d’afficher son soutien au peuple ukrainien en ajoutant un petit drapeau en filigrane à sa photo de profil Facebook. Le média social propose régulièrement des « filtres » à l’aide desquels on peut communiquer ses convictions sociales et politiques : un drapeau tricolore en hommage aux victimes d’attentats terroristes, le libellé « journée nationale de la vérité et de la réconciliation », le logo de la compagnie Bell… pour sensibiliser aux enjeux entourant la santé mentale. Avez-vous déjà utilisé un de ces filtres, signé une pétition en ligne ou simplement partagé un
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La paix des femmes ou abolir la prostitution
Quand Véronique Côté a amorcé la création de la pièce La paix des femmes, elle ne savait rien de la prostitution. Pour préparer son écriture, elle a lu plusieurs études, elle a rencontré des survivantes et des intervenantes communautaires. Plus elle avançait dans sa démarche, plus elle devait prendre position. C’est pourquoi La paix des femmes est une œuvre sur l’abolition de la prostitution. Vous ne verrez donc aucune scène racoleuse dans les théâtres où la pièce sera jouée. Celle-ci présente plutôt des personnages qui sont confrontés, d’une façon ou d’une autre, à la marchandisation du vivant : une chroniqueuse, un humoriste de la
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#Tradwives : des traditions de façade
Des femmes de divers pays ont parti un mouvement sur TikTok, #tradwife, qui sert de canal pour mettre de l’avant le mode de vie des femmes à la maison des années 1950. Certaines se réclament de la « sagesse ancienne » comme Alena Kate Pettitt. D’autres sont ouvertement racistes comme les #tradwives américaines. Ces influenceuses rétros ont toutefois un point en commun : elles sont en colère. On ne s’en douterait pas, mais je me plais à jouer à la reine du foyer. Je me réjouis lorsque je planifie les repas de la semaine. Je change la déco du salon suivant les fêtes du
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Les sorcières de TikTok
Alors qu’il était périlleux, à une époque, de se faire identifier comme sorcière, ce titre est désormais revendiqué par des influenceuses qui font un tabac sur TikTok. Les vidéos regroupées sous le mot-clic « witchtok » ont été vues plus de vingt-milliards de fois. Certains craignent que cette nouvelle tendance ne vienne corrompre la jeunesse. Que penser de ces cybersorcières qui assaillent le web ? Sur le « witchtok », on retrouve une diversité de contenus qui vont de l’astrologie à la divination, du yoga à la méditation, en passant par la lecture des cristaux. Ces pratiques visent à favoriser la guérison, augmenter l’estime de soi
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« Pumpkin spice latte » : la saveur de la nostalgie
Avant de me lancer dans l’écriture de cette chronique, j’ai allumé une bougie aux arômes de « churros caramélisés ». J’ai lancé ma playlist automne 2021. Ces jours-ci, je suis dans les reprises folksy de chansons populaires des années 2000. Sur le buffet de la cuisine, j’ai disposé quelques bibelots au milieu des courges soigneusement alignées. Par la fenêtre, rien n’indique que l’automne s’est installé. J’habite dans la basse-ville de Québec, là où les feuilles ne rougissent pas : les arbres sont inexistants. C’est l’arrivée des lattés à la citrouille dans les cafés du coin qui me rappelle que l’hiver approche. Une tradition américaine Cette boisson phare de la
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Pèlerins et touristes : une cohabitation nécessaire
Pendant que les paroisses sont désertées et les églises démolies, les grands sanctuaires du Québec sont investis par des masses de touristes en quête de beauté et d’authenticité. Chaque année, c’est en moyenne quatre-millions de visiteurs qui se relaient dans ces lieux souvent boudés par les locaux. Tendance lourde dans l’industrie, le tourisme religieux est appelé à croitre. Pour les responsables d’Église, cet afflux représente autant un défi qu’une occasion favorable. Claude Grou a été recteur de l’Oratoire Saint-Joseph du mont Royal pendant quinze ans. On visite pour différentes raisons ce sanctuaire qui abrite le tombeau de saint frère André :
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À Memphis comme à Compostelle : la pratique pèlerine aujourd’hui
Éric Laliberté a plusieurs cordes à son arc. Après s’être investi pendant près de dix ans dans le domaine de l’animation au secondaire, il découvre le pèlerinage. Il fonde avec Brigitte Harouni l’organisme Bottes et vélo, qui offre des services de formation et d’accompagnement spirituel dédié au pèlerinage de longue randonnée. Il termine présentement un doctorat en théologie à travers lequel il se spécialise en études pèlerines. Nous l’avons rencontré afin qu’il nous parle des manifestations contemporaines de cette pratique. Tout d’abord, les études pèlerines, c’est quoi ? Un champ interdisciplinaire assez récent qui s’est développé dans les années 1970. Les parents
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Un féminisme en mutation ?
Qu’ont en commun les femmes transgenres, les personnes prostituées et les femmes musulmanes ? L’approche intersectionnelle rassemble des militantes issues de ces groupes dans une lutte contre ce qui est conceptualisé comme une « matrice de domination ». Ce féminisme oppose au patriarcat le paradigme de la diversité, dans lequel se dissolvent les référents à la féminité. Regard sur les mutations du féminisme contemporain. En novembre 2013, lors des États généraux du féminisme, une centaine de militantes ont quitté la Fédération des femmes du Québec (FFQ) pour fonder leur propre organisation. Ce schisme, provoqué par un débat sur le port du hijab, a
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Les enfants qui aident les enfants
Parce que leur pays s’est développé au point où l’on parle maintenant de « miracle africain », le Rwanda est aujourd’hui une terre d’asile pour près de 150 000 réfugiés. Au moyen d’un camp de jour organisé par l’Enfance missionnaire, les jeunes du diocèse de Byumba participent activement à intégrer leurs camarades d’origine congolaise. De novembre à janvier, ils sont quelques centaines à se regrouper chaque semaine pour vivre des activités ludiques et éducatives. Chaque rassemblement débute par une prière pour tous les enfants du monde. Comme au Canada, des jeux et des cris de ralliement marquent le quotidien du camp. Le groupe entame
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