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Thomas De Koninck
Philosophe et professeur associé à l’Université Laval, Thomas De Koninck a pour mandat, au Verbe, de conjuguer la philosophie et la théologie avec le monde actuel. Ses paroles de sagesse sont comme des étincelles qui allument le désir de réfléchir aux questions ultimes au-delà du prêt-à-penser du siècle.
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L’art, vrai comme la vie
La question du sens, celle de la mort, du bien et du mal relèvent de la vie ordinaire. Voilà qui est fort important pour apprécier à neuf la pertinence et la profondeur de l’art, sa vérité, c’est-à-dire sa fidélité à la vie même de tous les humains. « La littérature s’occupe de l’ordinaire, écrivait James Joyce, ce qui est inhabituel et extraordinaire appartient au journalisme. » L’art s’adresse en effet à la dimension « ordinaire », plus « archaïque » de l’être humain. Même Kafka doit sa puissance au fait de dégager du fantastique de l’expérience ordinaire (par opposition à de la pure fantaisie). Résumons : le
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Le sophisme du concret mal placé
Connaissez-vous la différence entre un arbre et une montre ? L’un est concret, l’autre pas. Concret (de concrescere, « croitre ensemble ») signifie ce qui s’est formé ensemble. Un arbre, ou n’importe quel vivant, est proprement concret en ce sens, alors qu’une montre ou quelque autre artéfact ne l’est pas, puisque les parties d’un artéfact ont été mises ensemble par un agent extérieur et sont indifférentes les unes aux autres, comme d’ailleurs au tout dont elles font partie ; celles de l’arbre, de tout être vivant, concourent au contraire à sa production de lui-même comme individu. Le tout concret vivant est dès lors irréductible à ses
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La pauvreté du visage
La pandémie du coronavirus nous aura invités toutes et tous à revêtir un masque destiné à protéger autrui contre la contagion de ce virus. Ces masques ne recouvrent toutefois que le bas du visage et point les yeux. Emmanuel Levinas a su mettre admirablement en relief, dans Totalité et infini, la dimension éthique des rapports proprement humains à partir de nos visages, faisant ressortir que la vulnérabilité de l’humain oblige. Notre visage est donné à la vision d’autrui, comme l’avait rappelé saint Augustin. Nous ne verrons jamais de nos propres visages que des reflets. Le « face à face » démontre en revanche qu’autrui
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Le for intérieur
Corruptissima republica plurimae leges: «Plus l’État est corrompu, plus les lois se multiplient.» Cette phrase célèbre de Tacite (Annales, III, 27) visant la décadence romaine (Tiberius, Caligula, Claudius et Néron) rend brillamment comment faire fi des consciences. La décadence se trahit par la multiplication des lois, sa principale ennemie étant la conscience morale. « Pour moi, je considère, excellent homme, qu’il vaut mieux […] ne pas être d’accord avec la plupart des gens et dire le contraire de ce qu’ils disent – oui, tout cela plutôt que d’être, moi tout seul, mal accordé avec moi-même et de contredire mes propres principes » (Gorgias, 482 b-c). Hannah
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Le défi de la fragilité
La pandémie du coronavirus dont nous subissons actuellement les effets nous aura mis en présence de notre universelle fragilité. Notre propre fragilité et celle des gens qui nous sont chers nous ramènent à l’essentiel, et nous rappellent qu’en dernière instance seuls l’amour et l’amitié peuvent donner son plein sens à l’existence humaine. Comment pourrait-on affirmer, à la suite de Pascal, que « l’homme passe infiniment l’homme » (Pensées, Lafuma 131 ; Brunschvicg 434) ? L’expérience de l’amitié authentique est ce qui nous révèle le mieux à nous-mêmes, car elle porte au jour le soi humain profond qui se découvre dans la relation éthique que chacune et
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L’heure de notre mort
Le grand écrivain israélien David Grossman vient de publier dans Libération un article remarquable intitulé Questions pour temps d’épidémie dans lequel il constate que la pandémie sévissant actuellement dans le monde entier a rendu la mort « très tangible ». On est en droit d’espérer qu’il en restera quelque chose de salutaire et qu’on saura reconnaitre par la suite encore mieux la grandeur des soins palliatifs proprement dits en leur respect authentique de tout être humain à l’heure de sa mort. Le point d’orgue Cela dit, le dernier acte de notre humaine vie est la mort, instant final qui détermine tout ce qui a précédé, ainsi