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Emmanuel Lamontagne
Emmanuel est historien de l'art et de l'architecture. Il se spécialise en iconographie et en architecture religieuse. Il travaille présentement dans le domaine de la conservation du patrimoine bâti.
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Gérard Raymond, mystique et serviteur de Dieu
Certaines lectures ont le pouvoir de nous changer profondément. C’est ce qui m’est arrivé après avoir dévoré en trois jours le journal de Gérard Raymond (1912-1932). Au moment d’en entreprendre la lecture, je ne pensais pas y découvrir un grand mystique. Le jeune Gérard avait entre 15 et 19 ans quand il a rédigé les cahiers qui forment le journal. Il avait pour devise Quid nunc Christus (faire maintenant ce que le Christ ferait à ma place), ce qui donne d’emblée le ton. Gérard mentionne sans cesse son désir de se dévouer entièrement au Christ en devenant prêtre, ou même martyr, après ses études au
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Hiroshima: le feu qui dévore
6 aout 1945. 8 heures, 16 minutes et 2 secondes. Le feu atomique rase instantanément les trois quarts des bâtiments de la ville d’Hiroshima, au Japon. 75 000 personnes, presque toutes des civils, meurent sur le coup. 50 000 autres vont mourir des conséquences de blessures diverses et de l’exposition aux radiations dans les trois semaines suivantes. Jamais dans notre histoire multimillénaire l’humain n’avait causé une telle destruction. Le choc est tellement fort qu’il ne reste absolument aucune trace des bâtiments et des gens qui se trouvaient dans un diamètre de 500 mètres du point d’impact. Vous avez bien lu, 500 mètres, un
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Marius Dubois : l’audace du religieux
En cette fête de sainte Anne, Emmanuel Lamontagne nous propose de découvrir Marius Dubois (1944-2016), l’un des principaux artistes ayant contribué au décor du sanctuaire de Beaupré. Il faut le dire en toute franchise, Marius était une sorte d’ovni dans le monde artistique de son époque. Alors que la vaste majorité de ses confrères artistes s’intéressaient au modernisme et à l’abstraction, lui se voyait comme un successeur des peintres de la Renaissance italienne. Grand adepte du symbolisme, Marius aimait évoquer les réalités subtiles et les sens cachés. Il faut admettre qu’il y a quelque chose d’extrêmement audacieux dans le fait de
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Edmond J. Massicotte, illustrateur de l’âme d’un peuple
Edmond-Joseph Massicotte (1875-1929) est un artiste-illustrateur de grand talent: il a su représenter avec brio les racines profondes du Québec traditionnel. La façon la plus simple de découvrir l’œuvre de ce Montréalais d’origine est d’ouvrir le livre Nos Canadiens d’autrefois, publié en 1923. Cet ouvrage est une synthèse de l’œuvre de Massicotte qui illustre les traditions populaires des Canadiens français. Chacune des douze illustrations composant le recueil est commentée par un auteur contemporain de la publication, dont Lionel Groulx, Marius Barbeau et le frère Marie-Victorin. Tous ces personnages influents appartiennent à la mouvance du régionalisme canadien-français. Les élites sociales de l’époque,
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Un musée d’art chinois à Québec ?
C’est en fouillant dans les archives de la BAnQ qu’Emmanuel Lamontagne a découvert par le hasard le plus total ce musée fascinant. Comment est-ce possible qu’un lieu dédié à l’art de l’Empire du Milieu ait vu le jour en 1930 dans la ville de Québec ? Selon le recensement de 1923, il n’y avait que 500 personnes d’origine chinoise dans la ville de Québec, dont plusieurs commerçants à la tête de restaurants, de blanchisseries et d’une épicerie. À cette époque, Québec avait son Chinatown dans le secteur compris entre la côte d’Abraham et ce qui est aujourd’hui le boulevard Charest. Le quartier a été liquidé
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Jouer au touriste chez nous… au cimetière !
Alors que la pandémie a mis un frein à ma lancée sur les églises méconnues de la grande région de Québec, j’ai pensé vous faire découvrir un élément inusité du patrimoine religieux : les cimetières ! Le printemps hâtif aidant, et la marche étant une des rares activités encore autorisées par la santé publique, je vous propose une petite visite de deux lieux de mémoire des principales traditions chrétiennes historiquement présentes à Québec : l’un anglophone et protestant, le Mount Hermon Cemetery, et l’autre francophone et catholique, le cimetière Saint-Charles et le Grand Reliquaire de Québec. Un cimetière éclectique C’est le manque de lots disponibles au Quebec
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Petite théologie du whiskey
Dans le cadre de la fête de la Saint-Patrick, quoi de mieux que de s’assoir à la table d’un pub irlandais pour nous parler de whiskey… et de Dieu ! D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours adoré les pubs irlandais. Il faut dire que l’ambiance de ces endroits tranche avec celle des restaurants et autres lieux branchés. Côté menu, un Irish pub digne de ce nom ne sert pas de mets exotiques et délicats. La carte tourne évidemment autour des classiques irlandais : fish’n’chips, shepherd’s pie et Irish stew, auxquels se sont greffés avec les années une panoplie de grillades et de gros hamburgers bien juteux.
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Sublime Turner au MNBAQ !
Bien qu’il soit maintenant possible de faire des visites en ligne, l’une des grandes peines de la dernière année pour plusieurs aura été la fermeture des musées et des lieux patrimoniaux. Le Musée national des beaux-arts du Québec s’est donc fait un plaisir de rouvrir alors que son exposition Turner et le sublime, rétrospective de la carrière du peintre britannique J. M. W. Turner (1775-1851), vient d’être inaugurée. Considéré par beaucoup d’historiens de l’art comme un précurseur de l’impressionnisme et de l’abstraction, Joseph Mallord William Turner s’inscrit pleinement dans la tradition académique britannique. Cependant, ses paysages font appel au sublime d’une façon
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Hommage à Captain Sir Tom Moore
Au moment d’écrire ces lignes, je venais tout juste d’apprendre le décès de Captain Sir Tom Moore (1920-2021), vétéran britannique de la Seconde Guerre mondiale et héros de la lutte contre la Covid-19. Les hommages affluent de partout depuis l’annonce de sa mort. La reine Elizabeth II, l’ensemble de la classe politique britannique ainsi que les médias anglais de toutes tendances sont unanimes : un grand de la nation vient de quitter ce monde. Je l’ai déjà dit, j’ai une affection particulière pour les vétérans. J’ai donc pensé vous faire découvrir ce sympathique centenaire empli de bonté. Parce qu’il faut bien le
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La Shoah : devoir de mémoire
Aujourd’hui, 27 janvier 2021, c’est la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste. Je dois admettre que j’ai hésité avant d’écrire ce texte. D’abord, parce que je me disais que je devrais probablement aborder quelque chose de plus léger, de plus réjouissant, pendant une période de confinement qui est fort difficile pour plusieurs. Après quelques jours de réflexions, j’en suis plutôt venu à la conclusion que je devais absolument écrire ce texte, ne serait-ce que par devoir de mémoire. Aussi, dans une moindre mesure, pour nous aider à réaliser que la vie présentement pourrait vraiment être pire. L’Holocauste, c’est
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Noël, signe d’espérance en temps de crise
Il est manifeste que la dernière année a été particulièrement difficile pour tout le monde. La pandémie nous a tous touchés à divers niveaux. Il y a ceux qui ont perdu des proches, ceux qui ont été malades, ceux qui ont développé de l’anxiété à cause du contexte, ceux qui ont perdu leurs emplois ou leurs commerces. Sans compter tous les deuils des petits plaisirs que nous avons vécus : sorties au restaurant, cinéma, spectacles, anniversaires manqués, etc. Bref, nos habitudes de vies ont été complètement bouleversées depuis le mois de mars dernier. Et il faut être lucide, même avec l’optimisme
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J’ai arrêté de jouer à la guerre
Comme beaucoup, depuis que je suis enfant, l’univers militaire me fascine. Une fois par an, mes parents m’emmenaient à Expo Québec et les véhicules militaires m’intéressaient toujours beaucoup plus que les manèges. Il faut dire qu’ils étaient beaucoup plus impressionnants que mes jouets du quotidien, les classiques soldats verts en plastique, les chevaliers Lego et la petite mitraillette qui avait déjà amusé mon père à la fin des années cinquante. Adolescent, c’est vers les livres historiques et à la télévision que ma fascination s’est déplacée. J’ai épluché en entier les sections « Guerre » de la bibliothèque de l’école et de la
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Mon cousin Mgr Bourget
Il y a quelques années, j’ai fait l’arbre généalogique de ma famille. J’y ai découvert plusieurs agriculteurs, des soldats, un marin, une lignée de notaires et… un évêque ! Mgr Ignace Bourget (1799-1885), second évêque de Montréal, est un cousin éloigné du côté paternel de ma famille. Tout comme moi, il est un descendant de Guillaume Couture (1618-1701), fondateur de la ville de Lévis. Il ne m’en fallait pas plus pour courir me renseigner sur ce personnage historique ! La situation de l’Église après la conquête britannique Avant de parler de Mgr Bourget, il convient de se pencher brièvement sur la période s’étalant de
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Pourquoi y a-t-il une bassine d’eau à l’entrée des églises ?
Mon collègue James Langlois publiait il y a quelques semaines un texte pour le moins étonnant sur l’invalidité de certains baptêmes, en expliquant les implications rituelles du premier sacrement. Il existe toutefois des conséquences d’autre type au baptême ; c’est pourquoi je propose ici un autre angle d’attaque, cette fois architectural : en quoi le baptême a-t-il modifié nos lieux de culte ? Pour répondre à cette question, il faut revenir aux tout débuts du christianisme. Le contexte politique des débuts du christianisme Avant la légalisation du christianisme dans l’Empire romain, les premiers chrétiens étaient dans l’impossibilité de construire des bâtiments officiels pour y célébrer
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La religion est-elle un service essentiel ?
Le 26 juillet dernier, l’archevêque de Québec, le cardinal Gérald Cyprien Lacroix, lançait la réflexion sur la place publique. Est-ce que les services religieux, toutes dénominations confondues, devraient être reconnus comme un service essentiel ? Force est de constater, dans une époque de laïcisation officielle menée par l’État, pour ne pas carrément dire d’athéisme officieux, que la prémisse comme quoi le fait religieux peut être un élément social positif a de quoi déranger les fonctionnaires arpentant les couloirs des ministères. Car c’est bien là le sens profond du message des divers représentants des communautés religieuses qui a été véhiculé tout au long
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Les exvotos de la bonne sainte Anne
Encore une fois cette année, ma chronique du mois de juillet portera sur l’une des saintes les plus populaires du Québec, celle que l’on nomme tout candidement « la bonne » sainte Anne. L’an dernier, je me suis intéressé aux origines de la dévotion envers la grand-maman du Christ. Pour ce second opus, je vous propose d’examiner l’un des éléments les plus caractéristiques du sanctuaire de Beaupré : les exvotos. Tout d’abord, définissons ce qu’est un exvoto. Le mot provient de l’expression latine exvoto sucepto, qui signifie « selon le vœu fait ». Un exvoto est simplement un objet commémorant un vœu. Il existe plusieurs artéfacts qui nous permettent de
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Hagia Sophia : tensions entre civilisations
Certains bâtiments sont si fortement chargés symboliquement qu’ils deviennent pour les sociétés les ayant érigés des lieux de références. Ils incarnent à eux seuls l’identité de la nation. C’est le cas de la basilique Hagia Sophia de Constantinople qui fait la une ces jours-ci. Le 10 juillet dernier, le président turc Recep Tayyip Erdogan a demandé de reconvertir en mosquée ce qui était un musée depuis 1934. Un peu d’histoire La première basilique paléochrétienne nommée Hagia Sophia a été érigée en 330 par l’empereur romain Constantin après sa conversion au christianisme. Il ne reste que peu d’éléments architecturaux de cette
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Pour une politique patrimoniale nationale
Les bâtiments patrimoniaux protégés au Québec sont nombreux. Cependant, le système comporte toujours des lacunes importantes. L’arbitraire et l’oubli de la hiérarchisation trouveraient certainement un remède dans la création d’un comité national d’experts. Le 29 mai dernier, le gouvernement du Québec émettait un avis d’intention de classement comme bien patrimonial de l’église du Très-Saint-Sacrement de Québec. Mon collègue Francis Denis a d’ailleurs écrit sur le sujet. La polémique autour de ce sujet révèle toutes les incohérences du programme de classement. Parce qu’au-delà des belles annonces des politiciens, il y a toute une façon de faire qui est complètement déficiente au niveau
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Réapprendre à s’occuper de nos vieux
Au moment d’écrire ces lignes, cela fait maintenant onze semaines que la crise sanitaire a débuté au Québec. Presque trois mois d’un déni collectif ahurissant sur fond d’arcs-en-ciel gribouillés par des enfants de maternelle et de slogan jovialiste creux comme quoi ça va bien aller. La réalité, c’est que ça ne va pas bien du tout. L’abcès qui grossissait depuis des décennies a fini par éclater et le résultat est loin d’être encourageant. La situation dans les CHSLD et dans les maisons pour ainés est à ce sujet parlante. Il y a des lunes que nous savons tous que le
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Vers une simplicité involontaire?
Le fait que l’économie s’écroule actuellement parce que les gens n’achètent que des biens et services jugés essentiels est très révélateur de l’aberration qui guide nos sociétés modernes. Le modèle de croissance économique se base sur la prétention d’une consommation continue qui se doit d’être toujours plus grande. Pour se faire, il faut gonfler artificiellement la consommation. Tout le système repose sur le désir du consommateur, on l’excite au moyen de manipulations psychologiques jouant sur l’idée du bonheur inhérente à tout être humain. En résumé : « puisque les gens désirent tous être heureux, vendons-leur du bonheur. » Vous me direz que j’y
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Éloge de la beauté : de l’utilité de l’art en temps de crise
Je ne vous apprendrai rien : comme les médias nous le rappellent tous les jours, la période actuelle est difficile au plan sanitaire, social et économique. Nous vivons un drôle d’état de siège, confinés 24 h/24 h à la maison tout en ayant virtuellement accès au monde entier. Toutefois, c’est grâce à la technologie que, parallèlement aux mauvaises nouvelles en continu, la résistance au marasme social s’organise. Notamment par le biais de l’art. La situation actuelle a entrainé une accélération de la diffusion en ligne. Y participent les grandes institutions mondiales comme le musée du Louvre, le British Museum, le Metropolitan Museum of Art et la chapelle Sixtine ainsi
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Saint Patrick: la conversion par le trèfle
Bien avant la harpe, la Guinness, le whiskey, la couleur verte et le Leprechaun, le trèfle est le symbole par excellence de l’Irlande. Son histoire est intimement liée à celle d’un saint que nous connaissons tous de nom : Patrick d’Irlande. Je vous propose d’en explorer les origines. Comme souvent lorsqu’il s’agit des saints de l’Antiquité et du Moyen Âge, la tradition et les sources rapportent une histoire qui mélange à la fois réalité et mythe. De cette composition sort un récit hagiographique extraordinaire. Une biographie de voyageur Selon les sources médiévales (le Liber Angeli, la Vita sancti Patrici et Le Livre d’Armagh),
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Touristes chez nous, prise deux
Je vous propose encore une fois de jouer aux touristes chez nous en vous donnant envie de découvrir certaines églises en dehors de celles mises de l’avant par l’industrie touristique. Cette fois, la balade virtuelle se concentrera uniquement sur la chapelle Notre-Dame-des-Anges, située au 260 boulevard Langelier. Un petit bijou patrimonial méconnu de la région de la Capitale nationale. Oui, oui, région et non ville de Québec, puisque légalement l’ensemble conventuel des Augustines est une municipalité autonome ! Sa frontière est d’ailleurs très visible. La municipalité est entièrement délimitée par la clôture monastique, un gros mur en pierre impossible à manquer, qui entoure
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Foi en résine
Pendant les vacances des fêtes, je me rends pratiquement chaque année dans les grands sanctuaires nationaux du Québec pour y admirer les crèches et les décorations de Noël. Le comité marketing ayant bien fait son travail, un petit crochet à la boutique d’objets religieux suit souvent la visite puisqu’elle est invariablement placée dans les entrées et les sorties ou près des toilettes. Je dois dire que je n’y achète rien. Je devrais pourtant être le public cible puisque j’aime beaucoup la sculpture et la numismatique et que j’adore l’art religieux. J’en ai même fait le sujet de mon mémoire de maitrise ! Mais
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