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Émilie Théorêt
Émilie Théorêt détient un doctorat en études littéraires. En historienne de la littérature, elle aime interroger les choix qui ont façonné et qui façonnent encore la société québécoise.
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Lectures d’été : sur la route, du bitume à la rivière
Les beaux jours sont arrivés et l’envie nous prend de s’évader. S’évader sur la route et, pourquoi pas, par la voie d’une rivière, et surtout s’évader par la lecture… Je vous suggère deux livres pour explorer le territoire québécois et voyager vers ses vastes horizons. Lectures d’été, lectures légères, mais ne les sous-estimons pas, car ces voyages nous permettent parfois d’aller à la rencontre de nous-mêmes. Sur la route avec Vincent Vallières Je me suis laissé emporter par l’écriture de Vincent Vallières. Si, comme il l’écrit dans son prologue, c’est avec les mots d’Hergé qu’il a entrepris son premier voyage
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Murmurer la fin
« ce sont […] les instants vécus qui donnent à voir et qui dissimulent l’éternité à vivre. » (Brault, Trois fois passera, 1981) J’ai eu l’occasion de rencontrer Jacques Brault, une fois. J’en garde le souvenir d’un homme de grande stature (réalité ou impression?). Surtout, je le revois très réservé. Une force tranquille. Attentif et intérieur, tel je me le figure. Professeur d’études médiévales, puis de littérature à l’Université de Montréal, Jacques Brault a touché à plusieurs genres littéraires, mais c’est surtout à titre de poète qu’il marque notre littérature. Brault est mort en 2022, laissant derrière lui un ultime
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Le nouvel arrivant est-il cet autre qui me menace?
Je partage avec vous aujourd’hui l’une de mes dernières lectures, Les déclinistes, un essai de nature analytique qui saura, je l’espère, stimuler votre esprit critique ainsi que les réflexions de société sur les enjeux très actuels de l’immigration et de l’intégration des nouveaux arrivants. Avec Les déclinistes, Alain Roy propose un examen de la théorie du «grand remplacement». Il passe au peigne fin les écrits des principaux tenants de ce discours qui, selon lui, s’impose aujourd’hui à tort comme un discours rigoureux : ceux de Renaud Camus, d’Alain Finkielkraut, d’Éric Zemmour, de Mathieu Bock-Coté, de Michel Houellebecq et de Michel Onfray.
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Kevin Lambert: le Zola de Montréal?
Le roman Que notre joie demeure de Kevin Lambert fait sans cesse les manchettes ces derniers temps. Depuis la réponse abrupte de l’auteur au premier ministre Legault l’été passé jusqu’à l’épineuse question des «lecteurs sensibles» ressortie pendant la course au Goncourt, il semble maintenant être de tous les concours littéraires. Il vient d’ailleurs de remporter le prestigieux prix Médicis. On voit rarement autant de battage médiatique autour d’un livre, encore moins d’un livre québécois. À notre tour d’en parler un peu. La curée C’est à Zola que j’ai tout de suite pensé en ouvrant Que notre joie demeure. Avec ce
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L’hiver de force ou l’été délibéré
Je voyais se profiler devant moi les longs mois d’hiver. Pour éviter la déprime saisonnière, j’ai cru qu’il n’y avait rien de mieux que de m’activer, rien de mieux que de me lancer dans un (gros) projet de lecture. En examinant la pile de livres « à lire » sur mon bureau, j’ai jeté mon dévolu sur l’œuvre romanesque complète de Réjean Ducharme, publiée récemment chez Gallimard. Et puis, tant qu’à y être, question de rester dans le thème, pourquoi ne pas d’abord m’attaquer à L’Hiver de force ? C’était ma deuxième incursion dans L’Hiver de force, ce roman de Ducharme qui date
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Les 4 essais québécois de 2022 à lire
«La liberté, ce n’est pas l’abandon, mais la maîtrise.» – P. Vadeboncœur Tout au long de cette année, j’ai fait l’exercice de noter chacune de mes lectures. Cette liste me rappelle tous ces livres à la mémoire, avec leurs couleurs propres. Je n’avais pas conscience d’avoir traversé tant d’univers de papier. Parmi les inédits, je retrouve quelques bandes dessinées, deux livres illustrés de Dany Laferrière et un peu de poésie, mais c’est surtout l’essai québécois qui semble se démarquer. Plus précisément, trois essais sont arrivés sur les rayons aux alentours de la saison chaude. J’ai eu l’occasion d’écrire déjà sur
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Quand viendra l’aube: la vie des coquillages évidés
[…] échafauder une suite à la mort, c’est ce que nous faisons tous les jours de notre existence. Ça s’appelle continuer à vivre. (D. Fortier) Je referme à l’instant la plaquette que signe Dominique Fortier aux éditions Alto. Je considère la couverture nacrée de Quand viendra l’aube et j’y vois le reflet de tous ces petits trésors de l’océan parsemés au fil du livre de Fortier. Au risque de paraitre banal, j’y vois aussi et surtout la métaphore du livre lui-même qui se présente telle une sortie des profondeurs. En effet, Stéphanie Robert, qui signe la couverture du livre, a su saisir avec
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25 écrivains pour cultiver la vie intérieure
Voici quelques mots au sujet du tout récent et très inspirant livre d’Emmanuel Godo, Les Passeurs de l’absolu. Un livre à lire, à méditer et surtout, un livre qui nous invite à lire encore ! Pour cultiver la vie intérieure… D’emblée, le titre Les Passeurs de l’absolu me ravit ! Ils sont « des écrivains dont la vocation principale est de rappeler à leurs semblables que la vie est une formidable aventure spirituelle » (p. 9). Emmanuel Godo convie le lecteur à découvrir (et dans plusieurs cas, à redécouvrir) vingt-cinq auteurs rassemblés autour de cette quête intérieure. Vingt-cinq ! Voilà qui est impressionnant, et l’on pourrait redouter avec raison
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Théophile : le chant prophétique de l’espérance
Notre collaboratrice a lu Théophile, de Benoît Miller. Elle nous livre ici sa lecture de ce recueil de poèmes récemment paru aux Éditions Synoptique et nous donne (peut-être !) l’envie de lire un peu ! Parce que l’art a parfois ce pouvoir de nous élever au-delà des choses terrestres (les confinements et les déconfinements, les fermetures et les réouvertures – avec ou sans passeport vaccinal dans les lieux de culte ?)… Dès l’incipit, le lieu de la prise de parole poétique nous est dévoilé : « À la gloire cachée de ceux qui pleurent ». On pense tout de suite aux béatitudes et à cette affirmation de Jésus
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Chesterton et les lutins de Noël
La folie des sophistes modernes ne saurait concevoir un nouvel idéal aussi exaltant que la réalisation de n’importe lequel des idéaux anciens. – G. K. Chesterton Il y a une décennie à peine, lorsque les enfants intégraient le système de garde ou scolaire, ils étaient exposés à l’histoire du père Noël comme si c’était parole d’évangile. Désormais, cela ne suffit plus, leur univers social les encourage à adhérer à la « tradition » des petits-lutins-de-Noël-qui-jouent-des-tours-durant-les-nuits-de-décembre. Bien que la chose soit bienveillante et amusante, je reste perplexe devant l’insistance sur ces croyances nouvellement défendues et dans l’importance de transmettre « la foi dans la
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Excursion au pays de l’extraordinaire
Alors que le tout nouveau livre de Mathieu Bélisle est paru au début du mois, je vous propose de revenir sur son précédent essai, Bienvenue au pays de la vie ordinaire, paru en 2017. Avec tout l’intérêt que j’ai porté à ce livre, les idées ne manquaient pas pour entrer en dialogue avec lui. L’espace me contraignant à choisir, j’ai jeté mon dévolu sur une affirmation qui m’interpelle particulièrement. Elle concerne le caractère « ordinaire » de la littérature au pays de la vie ordinaire. En bref, notre littérature (lorsqu’elle possède des qualités littéraires) n’offrirait jamais de cheminement spirituel. Au pays de la vie ordinaire
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Et si la fête des Mères n’avait pas lieu…
Au moment d’écrire ces lignes, la distanciation sociale est encore obligatoire. On peut penser que bon nombre de mamans ne pourront pas serrer leurs enfants dans leurs bras pour la fête des Mères cette année. Plutôt que de nous apitoyer sur nos sorts, je convie les mamans à réfléchir avec moi sur la nature de notre rôle maternel. L’amour donneur C.S. Lewis, l’intellectuel anglais et auteur des fameuses Chroniques de Narnia, propose une définition de l’affection. Au sujet de ce type d’amour caractéristique de la relation mère-enfant, il écrit : Les besoins et l’amour demandeur de l’enfant […] sont manifestes, tout comme
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L’amour au temps du corona
Il y a quelques semaines, Netflix mettait en ligne le film Paul, Apôtre du Christ (2018). Je vous livre ici quelques réflexions qu’il m’a inspirées par rapport à la situation actuelle. Toutefois, si vous croyez que je vous convie à un programme de divertissement qui vous détournerait de la crise que nous vivons, détrompez-vous. Bien au contraire, ce film nous y plonge et permet par là un ravissant recueillement. Je dois l’avouer, je n’ai pas visionné ce long métrage dès sa sortie : je m’attendais à quelque chose d’un peu mièvre et de démodé. En ces temps de réclusion, je songeais à
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Anne Hébert. De violence et de lumière
Les littéraires l’attendaient avec impatience cette biographie d’Anne Hébert signée par Marie-Andrée Lamontagne. Nous profitons de la sortie récente de cet ouvrage pour revenir sur cette figure majeure de l’histoire culturelle du Québec. Anne Hébert est certainement l’un des noms les plus connus de la littérature québécoise. Parmi nos grands aînés, elle figure auprès de Rina Lasnier, d’Alain Grandbois et de Saint-Denys Garneau. De plus, comme Lasnier et Gabrielle Roy, Hébert change le rapport à l’écriture en embrassant la carrière littéraire comme on répond à un appel religieux. Cependant, il s’agit désormais d’une vocation littéraire autonome où la littérature se
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Au-delà de la fatigue culturelle avec Lamonde
Le travail du deuil peut mener à un être souverain, à un acte souverain capable de créer un évènement qui ouvre sur l’histoire. Lamonde, p. 109 Historien et professeur retraité du département de langue et littérature française de l’Université McGill, Yvan Lamonde nous livre ici une ultime réflexion en regard de toutes ses années de recherches sur l’histoire des idées au Québec. Voici l’occasion de lire ou de relire Un coin dans la mémoire, paru d’abord en mars 2017 chez Leméac et récemment republié dans la collection Nomade chez le même éditeur. Après près d’un demi-siècle d’études sur le sujet,
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Dans le ventre un temps, dans la tête toujours
J’avais envie de lire de belles histoires. J’avais envie d’entendre autre chose que les questions d’actualité sur l’avortement en troisième trimestre de grossesse; d’entendre autre chose que J’ai offert la mort à mon enfant. J’avais envie de chasser toutes ses réalités nouvelles qui repoussent aujourd’hui les frontières des questions éthiques sur la vie humaine. J’avais envie de me nourrir de la beauté de l’enfantement. Peut-être aussi, voulais-je approcher d’un peu plus près ces paradoxes qui touchent la maternité, de nos jours, en Occident : une maternité tant repoussée et tant désirée à la fois. Je me suis donc offert la lecture
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Pour le salut des féministes
Les Fées ont soif a suscité de vives réactions – spécialement dans les milieux plus religieux – lors de sa première représentation au Théâtre du Nouveau-Monde, à la fin des années ’70. Quarante ans plus tard, la pièce est présentée de nouveau, cette fois par le Théâtre du Rideau Vert (saison 2018-2019). Notre chroniqueuse Émilie Théorêt propose ici un regard sociohistorique sur cette création emblématique du mouvement féministe québécois. Le texte signé par Denise Boucher met en scène trois personnages : la Statue, Marie et Madeleine. Aux yeux de l’auteure, ces personnages représentent les stéréotypes féminins tels que mis en avant par
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Un petit Jésus de cire pour les sceptiques
À l’approche de Noël, j’ai pensé qu’un petit morceau de notre histoire littéraire à saveur de nativité pourrait être alléchant. J’ai donc décidé de vous faire découvrir une femme de lettres du tournant du XXe siècle : Éva Circé-Côté. Pour ce faire, j’ai choisi un extrait de son recueil de chroniques Bleu, Blanc, Rouge. Poésies, paysages, causeries (Montréal, Déom et frères, 1903) qui, non seulement nous rappelle cette saison de l’année, mais nous fait aussi réfléchir sur les possibilités d’y croire encore! Née en 1871, Éva Circé-Côté (mieux connue sous le pseudonyme de Colombine) est de ces premières femmes de lettres
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Mourir à soi pour vivre en poésie [3/3]
Un texte d’Émilie Théorêt Le Verbe vous propose une incursion en trois temps dans l’univers de l’écrivaine Rina Lasnier. Afin d’apprivoiser cette œuvre majeure de l’histoire littéraire québécoise, une première partie s’attache à la trajectoire de l’auteure, une deuxième permet d’apprivoiser son écriture à travers quelques textes, alors que cette dernière offre une analyse de l’œuvre. On connait les raisons et les conditions qui ont mené à la création de l’histoire littéraire québécoise telle quelle est. Encore aujourd’hui, le concept de rupture, qui fut si important au moment de cette élaboration historiographique, semble vouloir prédominer et continuer de s’ériger en valeur.
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Vie ou mort du regard chrétien de Rina Lasnier? [2/3]
Un texte d’Émilie Théorêt « Tant d’originalité confond, surtout à un moment de l’histoire canadienne où la religion, apparemment bien installée dans ses routines séculaires, est à la veille de perdre beaucoup de son importance et de ses privilèges. » – André Brochu Le Verbe vous propose une incursion en trois temps dans l’univers de l’écrivaine Rina Lasnier. Afin d’apprivoiser cette œuvre majeure de l’histoire littéraire québécoise, une première partie s’attache à la trajectoire de l’auteure, une deuxième permet d’apprivoiser son écriture à travers quelques textes, alors qu’une dernière offre une analyse de l’œuvre. Dans la première partie de cette série d’articles sur l’écrivaine québécoise
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Il faut ressusciter Rina Lasnier [1/3]
Un texte d’Émilie Théorêt Le Verbe vous propose une incursion en trois temps dans l’univers de l’écrivaine Rina Lasnier. Afin d’apprivoiser cette œuvre majeure de l’histoire littéraire québécoise, une première partie s’attache à la trajectoire de l’auteure, une deuxième permet d’apprivoiser son écriture à travers quelques textes, alors qu’une dernière offre une analyse de l’œuvre. Rina Lasnier est née en 1910 à Saint-Grégoire d’Iberville. Elle grandit au sein d’une famille aisée et ouverte sur les arts. Marchand de profession, son père est aussi violoniste à ses heures. Pour sa part, la jeune Lasnier pratique le violon et le piano. Quant à
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