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Brigitte Bédard
D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.
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Emanuel, le padre de la joie
Confinement ou pas, Emanuel Zetino, le plus jeune prêtre du diocèse de Montréal, célèbre la messe à la cathédrale de Montréal chaque matin en direct à la télé. Tout de suite après, on peut le voir danser sur TikTok dans la sacristie, faire un meme avec son encensoir ou chanter « Aqui Estoy » sur le parvis de l’église. À 16 ans, il avait décidé d’être heureux et toujours joyeux. 20 ans plus tard, il tient promesse. Né à Montréal de parents immigrants guatémaltèques, il ne le cache pas : il a toujours voulu être prêtre. « Comme beaucoup de Latinos, mes parents étaient très pratiquants
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Carpe Diem, la maison qui n’oublie pas ses ainés
Le fumet qui s’échappe de la cuisine me rappelle qu’il sera bientôt midi. Je pousse la barrière du jardin en cherchant du regard une préposée en uniforme, sans en trouver. Au fond, sous les grands arbres, jeunes et vieux se laissent bercer par les joyeux rigodons d’une violoniste. La jeune femme n’a pas été engagée pour venir faire son spectacle, puis repartir ; c’est une intervenante qui est aussi musicienne. À la Maison Carpe Diem, la polyvalence des intervenants offre la possibilité au personnel de ne pas être cloisonné dans un seul rôle. Nicole Poirier, fondatrice et directrice, dit que j’aurais
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La barbe du barbu
Vous le saviez peut-être : la barbe du barbu est un caractère sexuel secondaire. Secondaire parce que la barbe, de toute évidence, ne participe pas directement au système reproducteur (c’est-à-dire les organes sexuels). En la portant, le barbu cherche à conquérir la dame tout en s’imposant à ses rivaux. C’est pourquoi elle apparait au moment de la maturité sexuelle. Même s’il s’agit d’un duvet, elle annonce aux dames et aux messieurs de quel bois le barbu se chauffe. Fascinant, non ? Est-ce à dire que plus la barbe est grosse, plus le barbu est imposant ? Non. Tranquillisez-vous, messieurs ! Dans son Discours sur le
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Louange à l’Angélus
La prière de l’Angélus tend à disparaitre, mais autrefois, les cloches de nos églises sonnaient matin, midi et soir en l’honneur du grand mystère de l’Incarnation du Christ. Ainsi débute cette prière : « L’Ange du Seigneur apporta l’annonce à Marie », d’après le texte de l’Évangile de saint Luc (1, 28-42). L’Angélus prend sa source dans la prière de l’Ave. Il est une prière en trois versets qui se terminent par un Je vous salue, Marie et qui se conclut par une courte oraison. Origine nébuleuse On dit que saint Bonaventure, au 13e siècle, prenait soin de faire tinter la cloche — trois fois trois
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Les petits écureux
Je n’ai jamais aimé les écureuils. Ils m’ont toujours fait peur avec leurs dents de rongeurs et leurs yeux globuleux. Comme plusieurs, je les considérais comme de la vermine. Ce sont probablement mes années à Montréal qui m’ont traumatisée — pas moyen de s’assoir tranquille dans un parc, il y en avait toujours un, puis deux, et soudainement douze qui te cernaient ! Beurk ! De retour dans ma Rive-Sud natale, j’ai vécu bien des années en faisant la guerre aux écureux dévoreurs de bulbes ! Puis, arriva le printemps 2020. Un printemps — comme je vous le disais — pas comme les autres.
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Gunman n’a pas peur de mourir
1983. À 23 ans, Pierre est le criminel dangereux le plus recherché au Québec. Il s’est évadé encore une fois. Depuis ses 14 ans, les vols à main armée, les évasions, les séquestrations et les prises d’otages, c’est sa vie. Quand il est arrivé dans la prison pour adultes, la toute première fois, à 18 ans, il avait fait une entrée héroïque : il revenait de l’hôpital, car il avait été tiré à bout portant par les policiers qui avaient eu trop peur de lui avec son « 12 pompeux » artisanal entre les mains et son révolver à la ceinture. Pour les détenus, c’était Gunman. Un gars
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Le poteau d’Hydro
Par la fenêtre de ma cuisine, j’ai pu admirer, tout au long de mon confinement, le jeu de séduction d’un petit couple de moineaux. Matin après matin, petit à petit, ils ont fait leur nid dans la cabane à oiseaux qu’on avait posée sur le poteau d’Hydro. Ce poteau m’a toujours dérangée. Ça fait 12 ans qu’on habite cette maison, et je n’ai toujours pas compris pourquoi Hydro a décidé de planter son poteau juste en face de ma fenêtre. Ils auraient pu le planter un peu plus à gauche — à peine deux mètres — et ça aurait tout changé.
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Une femme évêque ?
Anne Soupa, théologienne bien connue[1], a fait connaitre sa « candidature » pour le « poste » d’archevêque de Lyon le 26 mai dernier. Elle ne demande pas l’ordination ; simplement une fonction de haute direction. Le hic, c’est que pour être évêque, il faut d’abord être prêtre. Je n’apprécie guère le militantisme dans l’Église, quel qu’il soit, mais cette bravade, je l’avoue, m’a attendri. Je me suis sentie proche de ma sœur en Christ. Son texte, qui explique ses motifs, ressemble davantage à un cri du cœur. Même si on n’est pas d’accord, ni sur le fond ni sur la forme, comment rester de glace devant
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Un féminisme pour les femmes ordinaires
La semaine dernière, on a vu déferler des offensives féministes. Selon plusieurs, la crise de la COVID-19 serait une crise « genrée » puisque le virus frapperait un sexe plus durement que l’autre. Les femmes sont victimes parce qu’elles sont majoritairement « au front », dit-on, occupant des postes traditionnellement féminins, donc moins bien payés. Relance « genrée » Noémi Mercier, dans L’actualité, rappelle que les femmes représentent 90 % des infirmières et 88 % des aides-soignantes et préposées aux bénéficiaires. Elles occupent des postes qui, avec la crise, en ont pris pour leur rhume : professeures, éducatrices, serveuses, vendeuses, coiffeuses, esthéticiennes. Évidemment, on accuse le gouvernement ; les salaires et
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Ma confession
S’il n’était pas dans les parages, je redeviendrais la perdue que j’étais. Absorbée par la vague catho du vedettariat (eh oui, ça existe !), j’oublie parfois que, sans lui, je serais seule sur l’ile de ma suffisance. Lecteur, auditeur ou téléspectateur habitué à m’entendre dire « Jésus » à tout bout d’champ, cette fois-ci je te le dis, ce n’est pas ça. Je désire te jaser de celui qui vient juste après. Ma meilleure moitié. L’épique époux. Bref, le mari. Ce n’est pas sans raison que Dieu s’est dépêché de me le trouver. Il m’a laissé languir un peu, mais pas trop. Juste
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Rencontre au front avec Victoria
Victoria est travailleuse sociale. On pourrait facilement dire qu’elle n’est pas « au front », elle, mais après l’avoir écoutée parler de ses clients et de leur détresse pendant 30 minutes, on change d’avis. « Au début de la crise, les appels tournaient autour de la crainte d’attraper le virus, de perdre son emploi, ou encore de mourir. On était en gestion de l’anxiété. Avec le temps, j’ai constaté que le confinement provoquait encore plus de détresse. » « Quand on arrive à ce niveau-là […] de la crise, on entre dans les choses beaucoup plus profondes. Ce n’est plus de l’ordre de la santé
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Rencontre au front avec Elisabeth Lefort et Pierre-Luc Labrecque
Après des jours à tout changer dans l’école, Elisabeth était enfin prête, et sa classe de maternelle aussi. Le lendemain midi, le gouvernement annonçait que la rentrée était reportée à septembre. « J’ai accueilli la nouvelle avec un grand soulagement même si j’avais l’impression qu’on avait fait tout ça pour rien ! » S’inquiéter pour les autres Elisabeth était inquiète plus pour son prochain que pour elle-même. « Je ne suis pas à risque. Je suis jeune et je suis toujours entourée d’enfants enrhumés, avec des débuts de grippes ou de gastro, des bronchites ou des streptocoques ! À la fin d’une journée, mes vêtements
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Rencontre au front avec Antoine Poulin
Antoine attend le résultat de son test de dépistage de la COVID. S’il est positif, la Santé publique considère que toute sa famille l’est, ce qui veut dire sa femme et leurs trois jeunes enfants. La semaine dernière, pour faire face aux grands besoins de l’hôpital où il travaille comme intervenant en soins spirituels depuis 11 ans, on lui a demandé s’il acceptait d’être délesté comme « Aide à la mobilité » en physiothérapie, dans la COVID. « Sur le coup, je ne voulais pas. Je voulais continuer à voir mes patients. Ma femme et moi, on a prié. Qu’est-ce que le Seigneur voulait, lui ? » Le
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Rencontre au front avec Sarah Michel
Quand Sarah, 16 ans, a obtenu son poste au comptoir du prêt-à-manger d’un supermarché bien connu, elle ne s’attendait pas à vivre tout ce branlebas de combat. « Au départ, je devais faire des heures précises, mais disons qu’avec les mesures sanitaires à respecter, les choses ne se sont pas passées comme prévu. Chaque jour, on m’assignait à un endroit différent, selon les urgences. » « Mes patrons éteignaient des feux. Nous, les employés, tous assez jeunes, on devait faire vite. Un jour, j’étais au prêt-à-manger, le lendemain j’étais garde de sécurité à l’entrée. Un matin, on est venu me chercher à mon
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Rencontre au front avec André, postier
André est fidèle au poste depuis 30 ans. Il est « chef d’équipe », mais autrefois, on appelait ça « maitre de poste ». Derrière son comptoir, c’est habituellement un homme enjoué et engageant qui nous accueille, mais avec la pandémie, pour la première fois de sa vie, c’était la peur qui le dominait. « Les médias ne parlaient que d’infirmières, de préposés ou autres services de santé, mais moi, postier, j’étais aussi un service essentiel, j’étais aussi en première ligne ! « À part mettre les enveloppes et les colis dans les casiers, le gros de mon travail, c’est le service à la clientèle. Il y
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Rencontre au front avec Marie Lyne Boucher
Marie Lyne ne pouvait pas se douter qu’en devenant technicienne d’intervention en loisir dans un CHSLD, elle pourrait communier, elle, chaque jour, au Corps du Christ, alors que le reste du monde en serait privé. « Le Corps du Christ ? Je le mange ici : cet amour universel bien concret, palpable. Je découvre la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur de l’amour de Dieu. » (Ep 3, 19) Le loisir dans un milieu de vie (le CHSLD), « c’est le sel qu’on met sur le steak ! dit Marie Lyne. Ma job, c’est de faire vivre et d’animer le milieu de vie autant par ma
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Rencontre au front avec Isabelle Bouchard
Jusqu’au Vendredi saint, Isabelle faisait sa job d’infirmière auxiliaire au CHU de Québec comme toutes les autres. Elle avait pourtant réussi à s’adapter aux mille changements ; chaque matin, un nouveau département, de nouvelles personnes, d’autres pratiques. Ambiance lourde infinie. « Au début de la crise, j’étais en colère. Je trouvais injuste d’être obligée de travailler, alors que d’autres étaient payés à rester chez eux ! Je voyais tout négatif et je me battais intérieurement pour sortir de cet état d’esprit. » Puis, un jour, Isabelle a soudainement compris que tout n’était pas si noir. « Je me suis dit : “Voyons ! Je ne suis pas
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Histoire de famille
Depuis trois jours, j’ai la tête dans les souvenirs, le cœur dans le passé et les yeux dans l’eau. Je suis dans mes photos de famille. Mon salon et ma salle à manger ont l’air d’un entrepôt. J’ai sorti la grande table qu’on sort à Noël et j’y ai mis toutes les photos, les enveloppes, les albums, les boîtes. Il y a aussi cinq bacs de souvenirs de famille que j’ai sortis du garage. Tant qu’à être enfermée encore pour trois semaines, autant en profiter pour faire ce que j’ai toujours remis au lendemain. J’ai décidé de faire l’histoire de
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Petites pousses
Après avoir fêté la résurrection du Christ en touchant presque au Ciel, on est retombés les deux pieds sur la terre assez vite. Le matin de Pâques, on reçoit un texto de notre couple d’amis, Claire et Thomas, qui nous annonce que Charles, le père de Thomas, âgé de 85 ans, a déménagé chez eux depuis mardi. J’aime Charles. Depuis toujours. Même si, depuis toujours, il ne croit pas en Dieu, ou si peu, même s’il me met en pleine face les scandales de mon Église. Même s’il nous est arrivé deux fois plutôt qu’une de nous crêper le chignon sur
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Le Bon Dieu dans la rue
On est sorti pour peut-être se donner l’impression qu’on allait à la messe du dimanche des Rameaux. On a marché le long du fleuve comme on le fait tous les jours depuis le début de ce confinement. En regardant Montréal au loin. Et ici, les bernaches. On traverse la rue pour s’arrêter devant notre église fermée. On contemple le Christ qui est là, présent. Mon mari rompt le silence : « Tiens, v’là ton ami ! » André ? Depuis le confinement, je ne l’avais pas revu, ni lui ni son compagnon de tous les jours. On s’approche. « Tu es seul ? Où est Richard ? –
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Mes légumes
J’ai passé ma journée dans mes légumes. Ce matin, puisque je devais sortir pour le travail, je me suis dit que j’allais en profiter pour passer à l’épicerie en revenant, question d’acheter des fruits et des légumes. En arrivant, je vois qu’on attend en file indienne à deux mètres les uns des autres sous une petite pluie fine et froide. « Ah ! Non ! Pas encore ! » Cette fois, je n’avais ni gants, ni chapeau, ni foulard, ni même de parapluie. Fouille dans l’auto partout. Pas de parapluie ! Je grogne. Dans le hall, il y a des pastilles rouges collées au sol. On
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Hier, on est sortis
Hier soir, on est sortis en douce, presque en cachette. On a fait des hotdogs aux enfants en les installant devant un film, en bas dans la salle familiale. Ils jubilaient ! Manger devant la télé ? Ça n’arrive jamais ! On a même sorti deux bouteilles de Coke pour l’occasion. La totale, quoi. Nous deux, on est remontés en leur disant qu’on sortait. Ils n’avaient même pas l’air surpris. Ils avaient plutôt l’air de dire « Ouais, ouais… bon débarras ! » Doucement, on a refermé la porte de l’escalier. On a ouvert la radio. Notre émission du samedi commençait. Des petits airs des années quarante qu’on aime
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Le désert
J’ai pris mon courage à deux mains. Une fois arrivée, j’étais soulagée de voir un stationnement à moitié vide. Enfin ! La folie du Costco est finie ! J’ai mis de l’essence pour pas cher, je me suis stationnée presque heureuse et je me suis dirigée vers l’entrée. Quoi ? Une barricade ? Une file interminable ? Chacun à deux mètres de distance. Chacun, le cou rentré dans son manteau. Devant la barricade de palettes de bois, des employés aux airs de bouncer. Le long de la file, d’autres, dossard orange sur le dos, transmettent leurs directives. Au nom de ma famille, j’y vais ! Je marche
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Un moment pour tout
Ça y est. Je suis une confinée. Je ne peux plus aller à mon cours de Stretch-Tonus. Ni à la piscine d’ailleurs. Je n’ose plus faire la ronde de mes épiceries zéro-déchet et encore moins de risquer ma vie au Costco pour trouver mon café préféré, ma baguette préférée ou nos baguels préférés… C’est fini. Finies mes sécurités de maman pourvoyeuse de bouffe pour sa petite et grande marmaille. Le défi cette semaine ? Ce n’était pas d’arriver à faire des plats dignes du resto avec les spéciaux des circulaires. Ce n’était pas non plus de répéter pour la centième fois