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Brigitte Bédard
D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.
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Rencontre au front avec Marie Lyne Boucher
Marie Lyne ne pouvait pas se douter qu’en devenant technicienne d’intervention en loisir dans un CHSLD, elle pourrait communier, elle, chaque jour, au Corps du Christ, alors que le reste du monde en serait privé. « Le Corps du Christ ? Je le mange ici : cet amour universel bien concret, palpable. Je découvre la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur de l’amour de Dieu. » (Ep 3, 19) Le loisir dans un milieu de vie (le CHSLD), « c’est le sel qu’on met sur le steak ! dit Marie Lyne. Ma job, c’est de faire vivre et d’animer le milieu de vie autant par ma
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Rencontre au front avec Isabelle Bouchard
Jusqu’au Vendredi saint, Isabelle faisait sa job d’infirmière auxiliaire au CHU de Québec comme toutes les autres. Elle avait pourtant réussi à s’adapter aux mille changements ; chaque matin, un nouveau département, de nouvelles personnes, d’autres pratiques. Ambiance lourde infinie. « Au début de la crise, j’étais en colère. Je trouvais injuste d’être obligée de travailler, alors que d’autres étaient payés à rester chez eux ! Je voyais tout négatif et je me battais intérieurement pour sortir de cet état d’esprit. » Puis, un jour, Isabelle a soudainement compris que tout n’était pas si noir. « Je me suis dit : “Voyons ! Je ne suis pas
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Histoire de famille
Depuis trois jours, j’ai la tête dans les souvenirs, le cœur dans le passé et les yeux dans l’eau. Je suis dans mes photos de famille. Mon salon et ma salle à manger ont l’air d’un entrepôt. J’ai sorti la grande table qu’on sort à Noël et j’y ai mis toutes les photos, les enveloppes, les albums, les boîtes. Il y a aussi cinq bacs de souvenirs de famille que j’ai sortis du garage. Tant qu’à être enfermée encore pour trois semaines, autant en profiter pour faire ce que j’ai toujours remis au lendemain. J’ai décidé de faire l’histoire de
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Petites pousses
Après avoir fêté la résurrection du Christ en touchant presque au Ciel, on est retombés les deux pieds sur la terre assez vite. Le matin de Pâques, on reçoit un texto de notre couple d’amis, Claire et Thomas, qui nous annonce que Charles, le père de Thomas, âgé de 85 ans, a déménagé chez eux depuis mardi. J’aime Charles. Depuis toujours. Même si, depuis toujours, il ne croit pas en Dieu, ou si peu, même s’il me met en pleine face les scandales de mon Église. Même s’il nous est arrivé deux fois plutôt qu’une de nous crêper le chignon sur
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Le Bon Dieu dans la rue
On est sorti pour peut-être se donner l’impression qu’on allait à la messe du dimanche des Rameaux. On a marché le long du fleuve comme on le fait tous les jours depuis le début de ce confinement. En regardant Montréal au loin. Et ici, les bernaches. On traverse la rue pour s’arrêter devant notre église fermée. On contemple le Christ qui est là, présent. Mon mari rompt le silence : « Tiens, v’là ton ami ! » André ? Depuis le confinement, je ne l’avais pas revu, ni lui ni son compagnon de tous les jours. On s’approche. « Tu es seul ? Où est Richard ? –
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Mes légumes
J’ai passé ma journée dans mes légumes. Ce matin, puisque je devais sortir pour le travail, je me suis dit que j’allais en profiter pour passer à l’épicerie en revenant, question d’acheter des fruits et des légumes. En arrivant, je vois qu’on attend en file indienne à deux mètres les uns des autres sous une petite pluie fine et froide. « Ah ! Non ! Pas encore ! » Cette fois, je n’avais ni gants, ni chapeau, ni foulard, ni même de parapluie. Fouille dans l’auto partout. Pas de parapluie ! Je grogne. Dans le hall, il y a des pastilles rouges collées au sol. On
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Hier, on est sortis
Hier soir, on est sortis en douce, presque en cachette. On a fait des hotdogs aux enfants en les installant devant un film, en bas dans la salle familiale. Ils jubilaient ! Manger devant la télé ? Ça n’arrive jamais ! On a même sorti deux bouteilles de Coke pour l’occasion. La totale, quoi. Nous deux, on est remontés en leur disant qu’on sortait. Ils n’avaient même pas l’air surpris. Ils avaient plutôt l’air de dire « Ouais, ouais… bon débarras ! » Doucement, on a refermé la porte de l’escalier. On a ouvert la radio. Notre émission du samedi commençait. Des petits airs des années quarante qu’on aime
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Le désert
J’ai pris mon courage à deux mains. Une fois arrivée, j’étais soulagée de voir un stationnement à moitié vide. Enfin ! La folie du Costco est finie ! J’ai mis de l’essence pour pas cher, je me suis stationnée presque heureuse et je me suis dirigée vers l’entrée. Quoi ? Une barricade ? Une file interminable ? Chacun à deux mètres de distance. Chacun, le cou rentré dans son manteau. Devant la barricade de palettes de bois, des employés aux airs de bouncer. Le long de la file, d’autres, dossard orange sur le dos, transmettent leurs directives. Au nom de ma famille, j’y vais ! Je marche
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Un moment pour tout
Ça y est. Je suis une confinée. Je ne peux plus aller à mon cours de Stretch-Tonus. Ni à la piscine d’ailleurs. Je n’ose plus faire la ronde de mes épiceries zéro-déchet et encore moins de risquer ma vie au Costco pour trouver mon café préféré, ma baguette préférée ou nos baguels préférés… C’est fini. Finies mes sécurités de maman pourvoyeuse de bouffe pour sa petite et grande marmaille. Le défi cette semaine ? Ce n’était pas d’arriver à faire des plats dignes du resto avec les spéciaux des circulaires. Ce n’était pas non plus de répéter pour la centième fois
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Voie divine, voix de diva
Sur scène, Marie-Josée Lord est certes la più granda soprano du Québec, mais autour d’une table, entre un pot-au-feu et un saumon en croute, elle parle piano piano, à mezza-voce. Lorsqu’elle répond à mes questions sur sa foi, sur ce qui l’anime et sur Celui qui l’habite, elle est délicate, feutrée, comme si elle fredonnait un petit air secret qu’elle voulait chanter pour Dieu seul. Elle n’a pas froid à ses yeux bleus. Dès son premier album, en 2010, Marie-Josée Lord affichait ses couleurs à même son livret: «Je suis reconnaissante à l’Éternel Dieu Créateur, à mon Seigneur et Sauveur Jésus Christ qui,
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Patrick sur les genoux
On ne comprend pas comment un homme peut supporter de voir sa femme avec un autre. On se dit qu’il est idiot, ou bien qu’il est fou. Je l’ai rencontré, cet homme. Je lui ai parlé longuement, et je peux dire qu’il est tout sauf idiot. Patrick, c’est le mari de Caroline parmi les loups. Celle qui, du jour au lendemain, ne l’aimait plus. Celle qui l’a mis à la porte pour se laisser aller, pendant quatre mois, dans les jeux sadiques et dangereux de son amant. Patrick, pendant ce temps-là, il était sur les genoux. Il n’avait rien vu venir.
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Caroline parmi les loups
[Pour voir la version de cet article publié dans le numéro d’hiver 2018 Amour Libre, cliquez ici.] Il n’y a pas qu’à la guerre, au milieu des massacres à la machette, que l’on peut serrer la main du diable. On peut aussi le faire au bout d’un clavier, quand on veut soudainement changer de vie. Caroline le dit: il était un vrai démon, ce gars-là, et c’est encore le démon – celui du midi, cette fois – qui l’a poussée dans son lit. Mariée depuis deux ans avec Patrick (lire la version de Patrick sur les genoux), elle n’en pouvait plus de
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Sortir du trou, être un bon screw
Version numérique du texte publié dans le numéro d’été 2017 du magazine Le Verbe d’été 2017. En prison, c’est la loi de la jungle. Regard sur l’univers hermétique des milieux carcéraux à travers les yeux de deux screws dont la foi a tout changé dans leur façon d’y travailler. Ce n’est pas tous les jours qu’un screw s’ouvre à vous. Pardon! Un «agent des services correctionnels», mieux connu sous le nom de «gardien de prison». Marilyn et François* l’ont fait. Nous avons parlé quelques heures. Nous aurions pu étaler ça sur des jours. Chacun pourrait écrire un livre à sensation, ou
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Les vieux pieux
Marie Rose vient d’avoir 93 ans. Jean-Claude s’achemine vers 87 ans. Ils ont 60 ans de mariage, 7 enfants et 27 petits-enfants. Quand ils se retrouvent tous au jour de l’An, au chalet familial, on ajoute les belles-mères, les cousins et les amis, ça fait beaucoup. «On s’est mariés le 24 juin 1957 à la Saint-Jean-Baptiste!» clame Jean-Claude, l’œil d’un bleu brillant, un brin nationaliste. «C’est très symbolique. À cette époque, la Saint-Jean-Baptiste n’était pas une fête nationale; c’était la fête du patron des Canadiens français!» Marie Rose, plus pragmatique peut-être, réplique avec douceur, comme dans un murmure: «C’est surtout parce qu’on savait que tout le
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Lydie, un ange chez les bisomiques
Les Gagnon ont 16 enfants. Lydie est la petite dernière. Elle a dix ans. Avec ses yeux bridés, son rire contagieux et son visage tout rond, on la reconnait: c’est la trisomique. Pour vous couper l’herbe sous le pied, elle se présente, tout sourire: «Bonjour, je m’appelle Lydie et je suis trisomique.» Nécessairement, on passe à une autre question. Pour un chromosome de plus Pour Monique et Alain, avoir 15 enfants n’allait pas de soi, mais en recevoir un 16e qui, selon les dires, est un malheur garanti, ça leur faisait porter un joug pas léger du tout. «Après l’échographie, on avait
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J’ai vu mourir un chrétien
d’après une entrevue d’Antoine Malenfant. La croix de Ricardo Corea Cruz On l’avait vue venir. La mort de Ricardo, ce n’était pas une surprise. Il n’y a pas de scoop ici, désolé. Quelques jours avant de passer au Père, Ricardo a accepté de nous parler de sa santé… Et il était parfaitement conscient qu’au moment où notre numéro serait publié il serait déjà parti. Sérénité déconcertante. Chez lui, au Honduras, Ricardo étudiait la médecine. Un jour, il a senti l’appel de Dieu. Sa grand-mère, tranquillement, l’a alors initié à la foi. Ricardo a entrepris un cheminement spirituel en paroisse.
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