

Antoine Malenfant
Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.
-
La communion des saints: discussion avec Jacques Gauthier
Professeur à l’Université Saint-Paul (Ottawa) pendant vingt ans, Jacques Gauthier est connu pour avoir publié une vingtaine de recueils de poésie, mais plus encore comme auteur de nombreux essais sur la prière et sur des vies de saints. De Bernard de Clairvaux au frère André, en passant par la petite Thérèse et la jeune Kateri, le théologien et conférencier a côtoyé de près ces «fous admirables» de tous les temps et de tous les lieux. Il a accepté de répondre à nos questions sur ce qui les lie entre eux et sur ce qui nous lie à eux. Le Verbe:
-
Des racines en partage: entretien entre une juive et un chrétien
Sociologue, conférencière, auteure et dramaturge, Sonia Sarah Lipsyc est également chercheuse associée à l’Institut d’études juives de l’Université Concordia et fondatrice de ORA-Connaissance du judaïsme. Dans ses colonnes Web, Le Verbe lui a souvent demandé de puiser dans les trésors de son héritage juif pour éclairer notre monde contemporain. Rédacteur en chef pour Le Verbe médias et animateur de l’émission On n’est pas du monde, Antoine Malenfant est diplômé en sociologie et en langues modernes. Antoine Malenfant: Chère Sonia, vous le savez, dès notre premier échange, il y a déjà quelques années, nous avions convenu qu’un jour, nous prendrions le temps
-
À corps perdu
«Je ne peux pas sortir ton corps de ma tête», chantait le groupe de rock alternatif Presidents of the United States of America («Body», 1995), non sans arrière-pensées grivoises. Fait marquant, ces musiciens gravement déjantés s’étaient imposé la limite de jouer avec des instruments volontairement amputés: une batterie minimaliste, une guitare à trois cordes et une basse à deux cordes. Quand on dit que la contrainte stimule la créativité! En comparant la three-string guitar de Dave Dederer avec le balai que prend mon fils de deux ans pour imiter la rock star sur la scène improvisée de notre salon, je
-
Nathalie Plaat: «L’autre est toujours un mystère»
Bien connue des lecteurs de la Tribune dans les Cantons-de-l’Est autant que de ceux du Devoir où elle collabore chaque semaine, la psychologue Nathalie Plaat détonne par son approche en porte-à-faux avec notre époque. La psychologie, selon elle, ne saurait se limiter à un coffre à outils rempli de méthodes et de techniques de gestion de la souffrance émotive. Elle nous a généreusement accordé cet entretien où il a été question du corps, du mystère et d’un épisode très personnel qui a tout chamboulé dans sa vie. Ceux qui te lisent dans les journaux savent que le corps compte parmi
-
Les petites trahisons. Méditation du Mardi saint
Si je voulais m’engager à dresser une liste de ce qui caractérise notre époque, trôneraient en tête de palmarès deux items : la difficulté à s’engager et l’omniprésence de listes. En homme bien de mon temps, je propose donc une liste de nos désengagements, qu’ils soient bénins ou misérables. C’est une vérité de La Palisse : l’ère est aux listes. Top 5 des plus beaux spots à visiter durant vos vacances en Gaspésie. Trois choses essentielles à savoir avant de dater une fille sur Tinder. Les 10 crop-tops incontournables à mettre dans votre garde-robe cet été. On rédige des listes et, pour se donner l’impression qu’on
-
Les enfants de la pandémie : entrevue avec le Dr Gilles Julien
Les centres de pédiatrie sociale font maintenant partie du paysage de plusieurs collectivités au Québec. Figure bien connue à l’origine de cette approche centrée sur les besoins de l’enfant et appuyée sur toute la communauté, le Dr Gilles Julien a accepté de nous rencontrer pour discuter de quelques enjeux et défis liés à la santé des enfants depuis le début de la pandémie. D’entrée de jeu, sachant que votre approche clinique repose sur une relation de confiance avec les enfants et avec les adultes qui les entourent, comment vous y êtes-vous pris, depuis deux ans, pour maintenir des liens significatifs
-
Chutes, rechutes et guérisons d’un enquêteur
« Des cadavres, des autopsies, c’était fréquent. Mais à l’automne 2019, j’ai été appelé sur un dossier très simple, un scénario digne de l’école de police pour préparer les futurs patrouilleurs : la victime, l’arme à feu, la lettre de suicide. Rien de compliqué ni rien de dégueulasse non plus. Alors là, j’arrive sur les lieux, puis je ne suis plus capable d’écrire. Plus capable du tout. » Jérôme Bibeau, sergent-enquêteur, est atteint du syndrome de stress posttraumatique par surexposition. Il a voulu raconter au Verbe ce qui l’a entrainé jusqu’au fond, et le chemin parcouru depuis son diagnostic. « C’est comme un coming out que je fais aujourd’hui.
-
La chicane (pas le groupe, la vraie)
Être né dans une grande famille comporte de nombreux avantages. Parmi ceux-ci, il y a celui, indéniable, de pouvoir raconter une histoire à propos d’un frère ou d’une sœur tout en maintenant un flou artistique sur son identité. C’est entre autres pour cela que mon épouse et moi avons décidé d’offrir le même privilège à nos enfants. L’autre jour, je discutais donc avec une de mes sœurs de sujets tous plus légers les uns que les autres : masculinité toxique, immigration, dérives bioéthiques. Puisqu’on ne se voit pas souvent, on ne perd pas trop de temps avec le placotage météorologique. Et comme c’est
-
Passeport et lieux de culte: « Redoutons surtout le mal qui ronge le Corps du Christ. »
Le moine russe Silouane l’Athonite (1866-1938), après des années d’épreuves et de tentations, complètement découragé de sa condition et à court d’espérance, reçoit du Christ lui-même ces mots mystérieux : « Tiens ton âme en enfer et ne désespère pas. » Tout l’inverse de ce que gueulaient les badauds au Calvaire : « Sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix ! » (Mt 27,40) C’est devenu un poncif de le dire : la crise révèle et exacerbe ce qui était déjà là en latence. Notre incapacité individuelle et collective à envisager la moindre souffrance a été révélée et décuplée depuis le premier
-
Un pusher d’écrans à l’école
Plus tôt cet automne, le ministère de la Santé consultait des experts (psychiatres, pédiatres, neurologues, etc.) au sujet de la surutilisation des écrans chez les jeunes. Si le résultat de cette consultation révèle une véritable catastrophe générationnelle, cela n’a pas empêché Québec de poursuivre la distribution d’appareils électroniques dans les écoles. Le constat dressé par ces spécialistes de la santé physique et mentale était sans équivoque : « les écrans nuisent à la vue, au sommeil, au poids et aux habiletés langagières. Ils augmentent le risque de développer une dépendance, de l’anxiété et une mauvaise estime de soi. » Devant un tel état des lieux
-
Mères porteuses, fils pour emporter
Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, estime que « la société évolue et cela doit se refléter dans le droit ». Pour ce faire, il propose le projet de loi no 2 de l’actuelle session parlementaire qui comprendra des balises pour encadrer la gestation pour autrui (GPA), mieux connue sous le vocable de « mères porteuses». Les plus nobles intentions – ici, donner la vie – risquent toutefois de faire écran aux enjeux éthiques les plus sensibles. Le phénomène n’est pas complètement nouveau. Dans un article de la BBC soulignant sans vergogne que « le monde a besoin de règles pour “vendre” des bébés », on apprend que la
-
Lou-Adriane Cassidy : comme s’il y avait quelque chose de plus grand
Elle a grandi entourée de musiciens de talent, a été formée en chant jazz avant un passage à La Voix, puis a été choriste pour Hubert Lenoir. Son premier album (C’est la fin du monde à tous les jours [2019]) a reçu une pluie d’éloges. À peine a-t-elle vingt-quatre ans que Lou-Adriane Cassidy semble avoir eu plusieurs vies. Pourtant, tout s’intègre à merveille dans son parcours. Et à l’entendre, on comprend assez vite que la jeune chanteuse basée à Limoilou, en basse-ville de Québec, n’a pas volé l’aura de respectabilité artistique qui contraste avec la verdeur de sa carrière. À quelques semaines de la
-
Ne manque que la finition
« Et puis, tu as passé de belles vacances ? Tu t’es bien reposé, j’espère ! » Bien sûr. Il ne manque que quelques moulures, des rideaux, une ou deux tablettes. J’ai presque terminé de construire la chambre des gars, au sous-sol. Presque. Mais croyez-moi (notez ici l’effort d’autopersuasion), je vous jure que ça achève vraiment. Tout en bricolant, je méditais ces mystérieuses paroles d’un vieux prêtre italien à la paroisse, quand j’étais plus jeune : « Le Christ veut nous rencontrer dans le sous-sol de notre être. » J’aurais préféré au salon, c’est plus joli. Revenons à la finition. Cette ultime étape de chaque projet de
-
Les corps intermédiaires
Ce sera notre petit secret. Il m’arrive parfois, à la manière des gens qui se projettent dans d’inaccessibles fantasmes pornographiques, de regarder des philosophes débattre sur YouTube. L’autre jour, l’un d’eux rappelait que, pour la philosophe Hannah Arendt, l’État totalitaire avance en taille et en vigueur au fur et à mesure que les corps intermédiaires s’éclipsent. (Non, un corps intermédiaire n’est pas l’oreiller que votre épouse place entre elle et vous, tel un infranchissable récif corallien, pour éviter que vos pieds froids atteignent ses mollets sous la couette.) Les corps intermédiaires sont ces groupements humains – la famille, l’association du
-
Martin Steffens : « Nous sommes profondément des êtres de relation ! »
Le philosophe français Martin Steffens est l’auteur de plusieurs livres, dont le tout récent Faire face : le visage et la crise sanitaire (Première partie, 2021), coécrit avec Pierre Dulau. Lors de son dernier passage à On n’est pas du monde, nous l’avons interrogé sur le masque en tant que symbole d’une crise qui est loin d’être seulement sanitaire. Le Verbe : Martin Steffens, même s’il y a quelques différences entre le Québec et la France dans l’application de mesures sanitaires, dans les deux cas, il y a eu couvre-feu, interdiction des rassemblements, limitation des déplacements, etc. Mais dans ce livre, c’est surtout la question
-
Carl Bergeron : « Comme le génie, la sainteté est le témoignage d’une vocation plus haute de l’humanité »
Né en 1980, Carl Bergeron est l’auteur de Voir le monde avec un chapeau (Boréal, 2016) et d’Un cynique chez les lyriques. Denys Arcand et le Québec (2012). Il vient de publier La grande Marie ou le luxe de sainteté (Médiaspaul, 2021), un essai d’une rare densité sur Marie de l’Incarnation et le destin de la nation. Entretien. Le Verbe : Qu’est-ce que la « grande Marie », une mystique catholique pur jus, a encore à nous dire sur nous-mêmes, Québécois sécularisés que nous sommes ? Carl Bergeron : Marie est une sainte récente (canonisée seulement en 2014), dont l’œuvre colossale est « en réserve » : pour la culture québécoise, qui pousse parfois le
-
Les dieux de la glace
Article paru dans le numéro Sport de la revue La vie est belle. Réactualisé et mis à jour le 8 juin 2021. Le sport, c’est sacré. Le sport rassemble et divise. Le sport promeut la paix et la rivalité. Le sport, c’est aussi et surtout le miroir de nos bipolarités : nous sommes peureux et courageux, pacifiques et guerriers, individualistes et collectivistes. Car le sport a quelque chose d’étrangement social et religieux. Et si le sport est le miroir de la société, il ne faut pas se surprendre de trouver quelques fantômes dans le forum et quelques prières d’avant-match. La religion faisant partie – parfois
-
Le plus vieil évêque au monde
Mgr Laurent Noël a 101 ans. Né en 1920 à Saint-Just-de-Bretenières, enseignant au Grand Séminaire de Québec, jeune évêque lors de sa participation au Concile Vatican II, puis titulaire de la cathèdre trifluvienne pendant 25 ans, il a le regard vif et les idées claires. Entretien avec le plus vieil évêque au monde. Un homme aussi humble que discret. Il ne voudrait surtout pas être le centre de l’attention. D’ailleurs, il aura fallu insister légèrement pour que Mgr Laurent Noël – vraisemblablement le plus vieil évêque au monde depuis l’annonce récente du décès d’un épiscope indien – accepte de nous accorder un précieux et rare
-
Tag ton prêtre
La nouvelle est tombée avec grand fracas. Entre le bilan mortuaire de la journée d’hier et la saison en dents de scie de nos (pas si) Glorieux, on apprenait grâce aux confrères de Présence-Info que le Vatican préparait un excitant symposium intitulé Vers une théologie fondamentale du sacerdoce, prévu pour 2022. Bon. Avec grand fracas c’était peut-être un peu fort. En tout cas, on peut s’imaginer que l’annonce a ému la Société des théologiens spécialisés en ministères ordonnés dans l’Église catholique contemporaine (la STSMOÉCC), si jamais elle existe. Moi qui croyais que, médiatiquement parlant, la seule manière pertinente d’en parler serait d’attendre le prochain scandale
-
Les sacrifices
Tout indique que notre cœur est à l’hôpital. Pas qu’il soit malade, mais plutôt parce qu’on dirait que c’est là que nous mettons tout notre amour, toute notre énergie. Le Québec investit plus de la moitié de son budget annuel dans son système de santé. Pas étonnant, donc, que l’on attende de celui-ci rien de moins que le salut. Ce système, c’est notre petit trésor. Alors, il ne faudrait surtout pas qu’il se brise. Et on semble prêts à tout pour sauver notre sauveur. Au risque d’abimer au passage quelques-uns de ses travailleurs les plus essentiels. Les Avengers Les anges
-
Ma caissière impopulaire
La caissière s’appelait Maxim. Avec ou sans e, je ne me souviens plus. En revanche, je me souviens très bien de ses boucles blondes, de ses yeux bleus immenses. Elle scannait cannages et panais tandis que je cherchais dans ma tête une blague pour la faire rire. Ma femme aurait de quoi s’inquiéter si ce n’était pas si fréquent. Mais elle sait que chez moi, c’est du quotidien. Ce n’est pas de la drague, c’est de la drogue. Compulsion irrépressible, faut que je déconne avec la personne derrière le comptoir. Je ne veux pas faire un numéro, ni lui demander
-
Quand le vingt s’est tiré…
Deux-mille-vingt-et-un. Deux-zéro-deux-un. Vingt-vingt-et-un. Pas plus commodes à écrire qu’à lire, les nombres inscrits en long et en large n’ont pas la cote. Souvent avec raison (la raison et les chiffres s’entendent à merveille, semble-t-il), on leur préfère les chiffres arabes, bien formés, pour s’informer du temps qu’il fait (moins 21) ou du temps qui fuit (20 h 21). J’aime bien écrire les chiffres en lettres. À chacun ses petits plaisirs. Je me sens baveux quand je fais ça. Rien de très subversif, mais juste un brin baveux. Ça m’offre l’illusion de redonner aux lettres leurs lettres de noblesse. … il faut le
-
Jusqu’aux limites du monde
Confins. Du latin confinium : « frontières ». Le Grand Confinement a eu l’heur de nous poser bien des questions, dont celles que je retiens ici : quel rapport entretenons-nous avec les lieux que nous habitons, avec ceux où nous nous réunissons pour travailler, avec ceux où nous prions en communauté ? Les limites qui bordent ces espaces sont-elles des entraves étouffantes ou un cadre duquel nous pourrions tirer grand profit ? * L’enjeu des limites, des frontières — ou parfois de leur absence — est peut-être l’un des plus formidables pour penser notre époque. Nous la pensons, cette époque, si souvent en termes relatifs au temps :
-
Force majeure
Dans ces moments dramatiques, on dirait que Dieu distribue des grâces spéciales. À l’hôpital cette semaine pour une transfusion à notre bébé, j’en ai profité pour prendre le pouls d’une situation sans précédent. (N’ayez crainte, j’ai bien frotté mes mains avec une dose règlementaire de solution hydroalcoolique.) Malgré toute cette histoire virale, je voyais l’infirmière commencer ses heures supplémentaires avec le sourire. Bien sûr, elle aura droit à sa prime. Toutefois, en la voyant soigner les patients, je vous garantis que ce n’est pas le fric qui la motive. D’abord, reconnaissance infinie à tous ceux qui vont perdre une heure