

Alex La Salle
Alex La Salle a étudié en philosophie, en théologie et détient une maîtrise en études françaises. Il travaille en pastorale.
-
Le b.a.-ba du kérygme (part. II)
Dans un précédent article consacré au kérygme (c’est-à-dire à la première forme que prend le message évangélique lorsqu’il est communiqué en contexte missionnaire aux non-chrétiens), nous avons resitué le kérygme : 1) dans son contexte d’énonciation, c’est-à-dire dans son rapport à une œuvre de puissance dont il est censé donner la signification; 2) à l’intérieur du processus d’évangélisation, entre préévangélisation et catéchèse; 3) et plus globalement, dans le plan salvifique de Dieu, où il est apparu comme l’un des différents « temps de la Parole ». Dans le texte qui suit, reprenant l’analyse de C.-H. Dodd, je détaillerai le contenu du kérygme dans
-
Le b.a.-ba du kérygme (part. I)
« En effet, notre annonce de l’Évangile n’a pas été, chez vous, simple parole, mais puissance, action de l’Esprit Saint, pleine certitude. » (1Th 1,5) En nommant l’été dernier Victor Manuel Hernandez préfet pour le dicastère de la doctrine de la foi (DDF), le pape l’a assuré que son rôle était bien de « veiller sur l’enseignement qui découle de la foi », mais en se démarquant de l’époque « où, au lieu de promouvoir la connaissance théologique, on s’évertuait à débusquer d’éventuelles erreurs doctrinales ». Nous avons besoin, a-t-il renchéri, non d’un discours axé sur la dénonciation et la condamnation des erreurs théologiques, discours qui
-
À la poursuite d’un trésor perdu: réhabiliter la rhétorique (part. II)
La beauté d’un ouvrage, technique ou artistique, découle du choix des matériaux utilisés pour le produire, de leur disposition harmonieuse dans un ensemble, de leur mise en forme ou stylisation; de tout cela se dégage une unité de structure ou de mouvement qui fait la grâce propre et l’attrait d’une création achevée. Ainsi, une maison sera d’autant plus belle que les matériaux pour la construire auront été bien choisis, bien assemblés et bien ouvrés. La même logique prévaut dans les domaines artistique et rhétorique. Lisez la première partie de l’article d’Alex La Salle ici. L’œuvre d’art qui se dresse ou
-
À la poursuite d’un trésor perdu: réhabiliter la rhétorique (part. I)
Si l’on ne peut pas dire que les Grecs de l’Antiquité ont inventé l’art oratoire, on peut dire, avec Laurent Pernot, auteur de La rhétorique dans l’Antiquité, qu’ils ont, comme nul autre peuple avant eux, poussé la pratique de l’éloquence à un très haut degré de perfectionnement. De plus, leur apport théorique a été si décisif pour comprendre les principes structurants de l’art oratoire qu’Olivier Reboul a pu écrire que « l’histoire de la rhétorique [comme science] s’achève avec son commencement. » Mais qu’est-ce encore que la rhétorique? La définition la plus classique et la plus précise, nous dit le même Laurent
-
Dieu caché, Dieu révélé
Bien que fervent catholique, le journaliste André Frossard (1915-1995), auteur de Dieu existe, je L’ai rencontré (1969) et de Il y a un autre monde (1974), était réticent à dire qu’il avait la foi. Ce n’est pas qu’il craignait d’être ostracisé par un milieu intellectuel largement athée ou d’être exposé à la critique de ses pairs, tant s’en faut; il fut au contraire un de ceux, dans la profession journalistique, qui affichèrent le plus ouvertement et le plus sereinement leur appartenance à l’Église catholique. Avec un brin de provocation, il se disait même papolâtre. S’il hésitait à dire qu’il avait
-
Évangéliser par la confiance
Voyez comment, dans saint Matthieu, la naissance du Christ est suivie rapidement par le massacre des Saints Innocents. Ce que cet épisode de l’évangile nous enseigne, c’est peut-être ceci: dès les débuts de l’Incarnation, le Christ s’achemine vers sa Passion. Et si on fait ce qu’on appelle en lectio divina une actualisation (afin de voir en quoi ce texte sur les Saints Innocents s’applique à notre condition de chrétien aujourd’hui), on peut faire un parallèle éclairant avec ce que bon nombre de nouveaux convertis ont pu expérimenter. En effet, vient toujours un moment dans la vie du converti, du nouveau-né
-
En relisant Julien Ries
Il y a 10 ans, le 23 février 2013, mourait, à l’âge de 92 ans, le prêtre et historien des religions Julien Ries. Sa mort survenait à peine plus d’un an après son élévation au rang de cardinal par Benoît XVI, qui avait voulu souligner non seulement la contribution éminente à la vie intellectuelle de cet universitaire belge, mais aussi l’articulation de cette vie intellectuelle à une vie de foi tout aussi exemplaire. Je n’ai plus un souvenir clair du moment exact où, il y a environ une décennie, j’ai appris l’existence de ce vieux savant. Était-ce à l’annonce de
-
Platon, penseur de la relation
«Ce qui, dans notre monde, est quelque chose, ne l’est que par sa participation à l’idée. L’idée est la cause de chaque chose qui apparaît et qui disparaît» – Walter Burkert (sur la métaphysique de Platon, dans La religion grecque). La Bonne Nouvelle, que les missionnaires propagent depuis saint Pierre et saint Paul, est, selon ce qu’en dit Thomas d’Aquin au début de son commentaire sur l’épitre aux Romains, que l’état de séparation de l’homme avec Dieu est révolu et que les retrouvailles de la créature avec son Créateur sont désormais possibles en Jésus Christ, dans la communion de l’Esprit.
-
La philosophie, celle qui oscille entre science et sagesse
En régime chrétien, tout discours sur Dieu a pour finalité d’inciter à vivre une relation à Dieu. Et toute relation à Dieu se structure autour des principes d’imitation du modèle divin (ici Jésus) et d’incorporation de l’esprit divin (ici l’Esprit Saint), en vue d’une élévation qui rend participant à la vie de Dieu. La relation à Dieu devient ainsi la source et le fruit d’une continuelle conversion intérieure et d’un nouveau mode de vie, qui, graduellement, par cercles concentriques, conduit à la rénovation de toute la vie personnelle, familiale, sociale. Cette conversion est amorcée par une expérience d’illumination intérieure induisant
-
Les guerres de Ratzinger
Je ne voudrais pas, par amour de l’allitération (guerre/Ratzinger), entacher la mémoire d’un homme connu et reconnu pour son extrême amabilité et douceur. On dit de lui qu’il était la délicatesse même, et c’est l’impression qu’il m’a donnée lorsque j’ai eu la chance de lui serrer la main, un jour, au pied de l’escalier du Saint-Office, alors qu’il quittait ses bureaux pour aller voir le pape. Impression confirmée depuis par tout ce que j’ai entendu dire à son sujet. Lui coller l’aimable étiquette de Panzerkardinal fut une belle trouvaille du monde progressiste, qui sut si bien, à son apogée, à
-
Foi et philosophie: le face à face convié par saint Paul
Le présent article clôt le cycle de trois textes amorcés avec 5 dimensions missionnaires et poursuivi avec Les 5 langages de l’amour divin. Dans le premier, je faisais une présentation des différents plans sur lesquels se déploie la réflexion missiologique, dont le plan du discours. Dans le second, j’établissais, à l’aide d’exemples tirés de la prédication de saint paul, une typologie des formes de discours missionnaires. Le premier de ces discours, avancè-je, est le discours philosophique, fondé sur l’examen raisonné de la nature et sur la spéculation métaphysique. On le trouve à l’état embryonnaire dans diverses traditions sapientiales (chinoise, indienne,
-
Les 5 langages de l’amour divin et leur rôle pour la mission
L’engagement missionnaire, comme tout autre aspect de la vie chrétienne, exige une docilité à l’Esprit Saint, premier protagoniste de la mission, selon le mot de Paul VI. Le missionnaire aguerri est, en outre, celui qui sait se laisser surprendre ou «déranger» par la Providence. En effet, c’est en saisissant les occasions fournies par la Providence et en sachant, à partir de circonstances apparemment fortuites, créer des occasions d’évangéliser, que le chrétien pourra plus aisément entrer en contact avec ses frères humains, engager avec eux la conversation, échanger des idées et se mettre à l’écoute lorsqu’ils oseront s’ouvrir à lui sur
-
5 dimensions missionnaires pour renouveler les paroisses
Notre chroniqueur, qui travaille en pastorale à Montréal, a profité du mois d’octobre, mois de la mission dans l’Église catholique, pour méditer sur l’enjeu du renouveau missionnaire des paroisses. Il nous livre ici quelques-unes de ses réflexions. Il y a 10 ans cette année, paraissait aux États-Unis le livre Rebuilt, un ouvrage essentiellement pratique, coécrit par un curé et son bras droit. Ces derniers proposaient une voie de renouveau missionnaire et pastoral pour les paroisses catholiques confrontées depuis des décennies à la sécularisation de la culture, à la baisse de la pratique, et donc au déclin. Le succès fut à
-
Le Moyen Âge a sa raison que la raison ne connait pas
Le XIe congrès thomiste international, qui se déroulait à Rome la semaine dernière, s’est ouvert le 19 septembre. Ce jour marque également le quarante-quatrième anniversaire du décès de l’historien de la philosophie Étienne Gilson (1884-1978), géant de la recherche et de l’enseignement. Celui-ci est notamment connu pour sa contribution éminente, au XXe siècle, à la connaissance et à la diffusion de l’œuvre de saint Thomas d’Aquin et, plus largement, pour son travail de mise en valeur des penseurs médiévaux et de leur effort d’articulation de la foi et de la raison. La culture ambiante, dans ce qu’elle a encore de
-
Taïwan: la tentation de l’Occident
Nous avons assisté tout récemment à une montée très sérieuse des tensions entre la Chine et Taïwan. Mais quelle est l’origine de cette rivalité opposant l’ile qu’on appelait jadis Formose (du portugais Ilha Formosa, belle ile) et le régime dictatorial de Pékin? Cette rivalité tire son origine de la guerre civile qui, de 1927 à 1937 et de 1945 à 1950, a opposé les communistes de Mao Zedong (1893-1976) aux nationalistes de Chiang Kai-shek (1987-1975), et qui s’est soldée par la fuite à Taïwan des nationalistes. D’austronésienne à chinoise à japonaise À l’origine, l’ile de Taïwan ne fait partie ni
-
Un carême de quarante siècles
Alex La Salle présente ici quelques-unes des principales idées contenues dans La fin de la chrétienté (2021), le plus récent ouvrage de la philosophe Chantal Delsol. Ses réflexions personnelles d’intermittent de la chronique, venues se greffer naturellement aux thèses de l’auteure, en préparent, accompagnent et prolongent l’exposé. « Le christianisme meurt souvent, et il ne s’en porte pas plus mal », a un jour écrit le journaliste et essayiste André Frossard, ami de Jean-Paul II, dans un ouvrage, Défense du pape (1993), qui est une apologie de l’encyclique Veritatis splendor. Faisant allusion aux vicissitudes qu’a connues le christianisme depuis sa première éclipse sur le Golgotha, la formule, par
-
Lorsque la foi débarque, la raison fout-elle le camp ?
Dans le but d’écrire des chroniques qui soient le plus inactuelles possible, je me suis lancé, depuis un certaine temps, dans la lecture d’ouvrages sur la quête du premier principe par les présocratiques, la contemplation chez Platon, le premier moteur des péripatéticiens, etc. Aux heures de loisir, je feuillète aussi des livres sur l’éducation hellénistique, la tradition patristique, la culture monastique et la science scolastique. À vrai dire, je ne m’aventure plus que très rarement au-delà du XIIIe siècle. Et si le hasard des découvertes érudites me conduit parfois, accidentellement, jusqu’à la Renaissance, je ne m’attarde guère dans cette antichambre de
-
Pourquoi Dieu pète un plomb dans la Bible
Alors que le pape vient de conclure un voyage historique en Irak, terre ravagée par la guerre et théâtre, avec la Syrie, des atrocités commises par Daesh au nom du dieu du Coran, il est bienvenu de revoir ce qui, dans notre propre tradition et dans nos Écritures saintes, a pu servir machiavéliquement à justifier les pires horreurs et les pires cruautés, de l’esclavage des Noirs au patriotisme guerrier de l’Empire allemand de 1914-1918 (« Gott mit uns »/Dieu avec nous). Le but de l’exercice n’est pas d’alimenter les passions antioccidentales et/ou antichrétiennes qui ont aujourd’hui toute liberté pour s’épancher, mais d’avancer
-
L’histoire est une chose du passé
Le 28 aout dernier, dans Le Devoir, un enseignant attirait notre attention sur le fait que le cours d’initiation à l’histoire de la civilisation occidentale offert aux cégépiens inscrits en sciences humaines allait être amputé des sections consacrées à l’Antiquité et au Moyen Âge. Apparemment, on cherche de la sorte à mieux « rattacher l’enseignement à l’actualité » et, ainsi, à susciter l’intérêt de l’étudiant pour le passé, dans un monde où le dernier trimestre boursier apparait comme une époque lointaine. C’est donc au peuple québécois que revient l’honneur d’avoir engendré les génies qui ont enfin découvert que l’on comprendra mieux la démocratie sans
-
Deux livres pour se réconcilier avec l’Antiquité et le Moyen Âge
Comme promis dans L’histoire est une chose du passé — un article où il est question de notre désamour pour l’Antiquité et pour le Moyen Âge —, voici, en guise d’antidote à l’institutionnalisation programmée de l’oubli, deux ouvrages absolument formidables. D’abord Humanisme et théologie, de Werner Jaeger, puis Exercices spirituels et philosophie antique, de Pierre Hadot. Le livre de P. Hadot, paru en 2002, nous rappelle que la tradition des études classiques, patristiques ou médiévales s’est prolongée malgré tout jusqu’au XXIe siècle, et donc jusqu’à nous. J’en donnerai d’ailleurs d’autres « preuves » dans une prochaine Bouquinerie. Mais pour l’instant, attardons-nous aux titres tout juste mentionnés. Ils nous
-
Vers une nouvelle Pentecôte
La fragilisation de l’édifice ecclésial a entrainé des défaillances graves, tant du point de vue du comportement moral des chrétiens que de leur compréhension de la foi. Depuis le Second Concile du Vatican, toutefois, une solution a été mise sur pied à travers un renouvèlement de la vie spirituelle et un renouvèlement de la vie missionnaire, idéaux qu’a embrassés le Renouveau charismatique. L’intégrité du catholicisme est mise à rude épreuve aujourd’hui, et parfois atteinte. Intégrité morale, intégrité doctrinale, intégrité spirituelle : tous les aspects de la vie de l’Église sont soumis à de terribles pressions sociales, politiques, idéologiques et culturelles. Ces
-
La prise du pouvoir par les sans-calottes
Si l’art de la controverse s’est perdu (quelque part entre les deux guerres), Alex La Salle s’affaire à maintenir en vie ce type de joute littéraire qui, au risque de froisser quelques surplis bien repassés et quelques t-shirts fluos de « JÉSUS », a au moins l’avantage de nous servir la langue de Bloy comme remède à la langue de bois. « Si une erreur s’introduit dans les esprits, c’est grâce toujours à quelque vérité qu’elle déforme. Il doit y avoir au coeur de la Réforme luthérienne quelque illusion foncière qu’il importe de rechercher. Pour cela, il n’est pas de meilleure méthode que
-
Le Christ: saint ou spadassin?
Nous connaissons tous le passage du Nouveau Testament en Matthieu 10, où le Christ affirme qu’il n’est pas venu apporter la paix, mais le glaive. Cette déclaration intrigue, sinon trouble plusieurs lecteurs de la Bible. Le Christ n’est-il pas le prince de la paix? N’a-t-il pas dit de tendre l’autre joue si quelqu’un nous frappait? Sa mort sur la croix n’est-elle pas la parfaite manifestation de son refus de la violence? Et pourtant, il dit apporter le glaive! Devant cet apparent paradoxe, certains lecteurs impuissants à résoudre la contradiction s’enferment dans la perplexité. D’autres, parfois très diplômés, mais aussi très ignorants
-
La foi n’est pas un doute affadi (2e partie)
[Pour lire la première partie, cliquez ici] « Toi qui scrutes les profondeurs de Dieu, Toi qui illumines les yeux de notre coeur, Toi qui te joins à notre esprit, Toi par qui nous réfléchissons la gloire du Seigneur, Nous te magnifions. » Feu et lumière (chant à l’Esprit Saint – Communauté de l’Emmanuel) En mars, j’ai écouté l’émission Répliques du 24 février 2018, intitulée Être catholique aujourd’hui, dans laquelle Alain Finkielkraut interrogeait, à titre d’animateur, deux figures du catholicisme français: Denis Moreau et Rémi Brague. Devant ses invités croyants, le penseur incroyant s’est cru autorisé à faire de la foi une variante du doute et de l’angoisse.