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  • Mourir seul

    Avant d’être emporté par un cancer du larynx, le journaliste-écrivain Gil Courtemanche a écrit Je ne veux pas mourir seul (Boréal, 2011), une « autofiction » bouleversante. Bref récit d’un échec amoureux, le livre expose l’une des peurs qui nous habite tous : celle précisément de quitter ce monde dans une solitude noire, rongés par la culpabilité de ne pas avoir su aimer assez… J’ai repensé à ce livre et à sa noirceur avant les Fêtes. Les bilans quotidiens de la pandémie font état des décès, mais il n’est jamais question des heures qui précèdent ces disparitions. À la fin du mois de novembre, j’ai accompagné

  • Les sacrifices

    Tout indique que notre cœur est à l’hôpital. Pas qu’il soit malade, mais plutôt parce qu’on dirait que c’est là que nous mettons tout notre amour, toute notre énergie. Le Québec investit plus de la moitié de son budget annuel dans son système de santé. Pas étonnant, donc, que l’on attende de celui-ci rien de moins que le salut. Ce système, c’est notre petit trésor. Alors, il ne faudrait surtout pas qu’il se brise. Et on semble prêts à tout pour sauver notre sauveur. Au risque d’abimer au passage quelques-uns de ses travailleurs les plus essentiels. Les Avengers Les anges

  • Ma caissière impopulaire

    La caissière s’appelait Maxim. Avec ou sans e, je ne me souviens plus. En revanche, je me souviens très bien de ses boucles blondes, de ses yeux bleus immenses. Elle scannait cannages et panais tandis que je cherchais dans ma tête une blague pour la faire rire. Ma femme aurait de quoi s’inquiéter si ce n’était pas si fréquent. Mais elle sait que chez moi, c’est du quotidien. Ce n’est pas de la drague, c’est de la drogue. Compulsion irrépressible, faut que je déconne avec la personne derrière le comptoir. Je ne veux pas faire un numéro, ni lui demander

  • Supporter patiemment les emmerdeurs

    Je suis une romantique, que voulez-vous ! Mettez-moi devant une peinture de saint Ignace dévoré par les lions, de saint Clément jeté à la mer les pieds attachés à une ancre, ou encore de sainte Agathe dont on coupât les seins, et je m’enflamme !  Se plaire dans des images lointaines de martyrs… Du lyrisme chrétien à son meilleur ! « Tu veux apprendre la charité durant ce carême ? Alors, arrête d’imaginer que tu vas sauver le monde et apprends à supporter patiemment tes proches. C’est le combat d’une vie pour nous tous. Mariés ou pas, prêtres ou pas. » C’est avec ces paroles que

  • universunivers

    Apprendre à vivre avec

    Je parlais avec un psy l’autre jour. Il me disait à quel point il voyait l’anxiété monter chez ses clients depuis le début des confinements. Ça, et bien d’autres problèmes de santé mentale. Puis, il m’a dit cette phrase qui semble contradictoire : « Quand on arrête de faire des choses pour aller bien, on va beaucoup mieux. » Paradoxalement, notre société obsédée par la santé, le bienêtre et la croissance personnelle n’a jamais été aussi malade d’aller bien. Comme si la norme c’était de n’avoir aucun bobo, aucun malaise ni souci. Mais avec une telle idée, on est souvent déçu et toujours

  • « Chéri ! Je (ne) sens (plus) mon corps ! »

    J’imagine que vous allez dire que j’ai une fixation. Vous allez même peut-être lever les yeux au ciel et croire que je n’en ai que pour mon petit nombril (et ce qui se passe en dessous). Pourtant, ce n’est pas de mon ombilic dont il s’agit, mais de mes hormones ! Elles se font la malle et ça bouscule l’humeur, le désir sexuel, l’énergie, le sommeil, l’appétit… TOUT !  Vous n’en avez rien à faire des hormones ? C’est probablement parce que : soit vous n’êtes pas encore arrivée à l’âge vénérable de la cinquantaine ; soit vous l’avez dépassée depuis belle lurette et que

  • Le sophisme du concret mal placé

    Connaissez-vous la différence entre un arbre et une montre ? L’un est concret, l’autre pas. Concret (de concrescere, « croitre ensemble ») signifie ce qui s’est formé ensemble. Un arbre, ou n’importe quel vivant, est proprement concret en ce sens, alors qu’une montre ou quelque autre artéfact ne l’est pas, puisque les parties d’un artéfact ont été mises ensemble par un agent extérieur et sont indifférentes les unes aux autres, comme d’ailleurs au tout dont elles font partie ; celles de l’arbre, de tout être vivant, concourent au contraire à sa production de lui-même comme individu. Le tout concret vivant est dès lors irréductible à ses

  • Une chambre à soi

    Pour la première fois, depuis au moins 18 ans, je vous écris de ma chambre ! Ma chambre à moi ! Rien qu’à moi ! Eh bien quoi ? Vous ne comprenez pas ce que cela signifie ? Vous ne voyez donc pas ? Vous ignoriez que mon bureau avait toujours squatté une partie du salon, jamais très loin de la cuisine ? Aaaahhh ! C’est que peut-être n’êtes-vous pas mère de six enfants ! D’accord. Laissez-moi alors vous expliquer, vous faire un petit portrait de la situation de la femme en moi qui, bon an mal an, faisait tout pour garder un tant soit peu une vie à elle,

  • L’université : naufrage clientéliste ou idéologique ?

    C’était l’époque où l’on remettait des prix à des œuvres longuement muries, plutôt qu’à des militants qui brandissent la cause du jour. En 1996, le sociologue Michel Freitag recevait le Prix du Gouverneur général pour son essai Le naufrage de l’université (Nuit blanche éditeur, 1995). Un livre dense mais accessible et d’une grande profondeur. « La vocation de l’université, écrivait-il, est inséparable de l’idée d’une certaine transcendance du monde de l’esprit, de la science et de la culture, et de l’exigence d’unité réfléchie qui lui est propre. » Lieu de liberté et de synthèse, l’université avait longtemps été conçue comme un espace protégé des fureurs

  • Quand le vingt s’est tiré…

    Deux-mille-vingt-et-un. Deux-zéro-deux-un. Vingt-vingt-et-un. Pas plus commodes à écrire qu’à lire, les nombres inscrits en long et en large n’ont pas la cote. Souvent avec raison (la raison et les chiffres s’entendent à merveille, semble-t-il), on leur préfère les chiffres arabes, bien formés, pour s’informer du temps qu’il fait (moins 21) ou du temps qui fuit (20 h 21). J’aime bien écrire les chiffres en lettres. À chacun ses petits plaisirs. Je me sens baveux quand je fais ça. Rien de très subversif, mais juste un brin baveux. Ça m’offre l’illusion de redonner aux lettres leurs lettres de noblesse. … il faut le

  • Le complotisme : symptôme d’une élite flétrie

    La présidence états-unienne de Donald Trump et la pandémie qui a émaillé sa dernière année en fonction ont été l’occasion d’un florilège sur le thème du complot. En gros, Trump serait le chevalier qui défendrait le petit contre une cabale de puissants réunis en secret pour assujettir le peuple. Participeraient à cette machination des partis politiques, de grands médias, des pans entiers de la magistrature, des économistes, de grands fonctionnaires, des multimilliardaires, philanthropes de surcroit. Bref, cette fine fleur formerait une internationale avide qui agirait au détriment des peuples qu’elle est censée défendre.  Bien évidemment, la covid-19 serait le dernier

  • « C’est pour quand le baptême ? »

    Pour Francesco et Claire, parrain et marraine « C’est pour quand le baptême ? » Alors que j’étais encore enceinte, on nous posait sans cesse la question, même dans nos familles pourtant non croyantes. Ça m’étonnait presque : pourquoi cet engouement si on ne croit ni au péché originel (et donc à la délivrance de celui-ci) ni à la grâce de Dieu ? Mais au fond, rien de plus normal. Les Hommes aiment les rites. Et quand vient au monde un enfant, surtout le premier, on cherche spontanément à l’accueillir avec quelque chose d’officiel.  Besoin d’un rite Je me souviens d’ailleurs d’un couple, il y

  • Cyrille déjoue les pronostics

    En septembre dernier, Gabriel et son épouse Florence ont tous deux publié un texte (« Spin Doctor » et « Tu n’auras jamais à être parfait ») dans lequel ils réagissaient à l’annonce de la venue de Cyrille, leur dernier enfant auquel on a diagnostiqué un spinabifida. Voici le compte rendu des derniers évènements. Observer n’est pas un geste passif. Le regard porte un jugement, il agit sur le sujet auquel il s’intéresse. Fixez d’un air neutre une personne dans l’autobus pour voir. Les premiers moments de notre vie se passent dans l’obscurité. À l’intérieur du ventre de notre mère.

  • universunivers

    J’ai échoué à rater ma vie

    L’an passé, je vous confiais avoir pris la résolution de rater ma vie. Mais à l’heure des bilans, je suis bien obligé de constater que j’ai échoué complètement. Malgré tous mes efforts, ma vie est un franc succès ! Tout me réussit : ma vie personnelle et professionnelle, intellectuelle et spirituelle, émotionnelle et… vous savez quoi. ;) Vraiment, même si j’excelle dans l’art de me plaindre, je n’arrive plus à convaincre personne que je fais pitié. J’ai tout essayé : l’anxiété, l’épuisement, la dépression, la solitude, rien à faire. Même quand j’ai l’impression que ça va mal aller, il suffit que j’ouvre les yeux pour

  • universunivers

    Espérer la décroissance

    La courbe des cas de Covid et celle de la bourse semblent croitre ensemble ces temps-ci. Et alors que le monde espère publiquement la décroissance de la première, on salue secrètement la croissance de la seconde. Croissance versus décroissance C’est un débat économique et écologique qui sévit depuis deux décennies. Contre le dogme néolibéral de la croissance perpétuelle, on oppose l’hérésie écologique de la décroissance graduelle. On prêche que retrouver l’équilibre aussi bien environnemental que cérébral passe par une courbe descendante de notre « niveau de vie » (une expression à niveler par le bas !). On oublie trop souvent que cette décroissance

  • Souffrir d’amour… pour la messe

    Bon. Y’en a qui m’écrivent pour me demander ce qui se passe avec moi. Pourquoi je ne fais plus de petits vidéos humoristiques sur Facebook les vendredis ? Et pourquoi je ne publie presque plus rien ? Et pourquoi je ne fais plus de blagues ?  Pourquoi ? Mais bonté divine, c’est parce que je souffre ! Et quand je souffre, eh bien je suis comme vous — je n’ai pas envie de rire.  Évidemment, la joie est là, tout au fond, immuable ; cette joie du ressuscité, cette joie de me savoir sauvée, aimée, accompagnée, guidée. Cette joie d’aimer aussi. Mais ça ne change rien

  • L’exigence de la démocratie

    En octobre 1970, des jeunes du Front de libération du Québec enlevaient un attaché commercial britannique et le vice-premier ministre du Québec devant sa maison et sa famille. Dans l’esprit de ces révolutionnaires, ils ne privaient pas deux êtres humains de leur liberté, ils kidnappaient des symboles du colonialisme. On connait la suite : le premier a été retrouvé et libéré ; le second découvert mort dans une valise d’auto. Le 30 aout dernier, un groupe de « militants » s’en est pris à la statue de John A. Macdonald, place du Canada, à Montréal. Dans la vidéo qui a beaucoup circulé, on les

  • Deux philosophes et un bébé

    « C’est toi qui as créé mes reins, qui m’as tissé dans le sein de ma mère. Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis. »  – Ps 138, 13-14 La philosophie commence par l’étonnement, dit-on. Et ces jours-ci, rien n’étonne plus mon mari et moi, tous deux étudiants en philosophie, que notre nouveau-né.  Un peu (beaucoup) d’ignorance Pour s’étonner, ça prend une bonne dose d’ignorance. On ne se surprend pas de ce qu’on connait déjà. Or pour l’ignorance en matière de bébé, mon mari et moi, on bat des records ! Déjà à l’accouchement : – Oh mon Dieu ! Il a la tête

  • Éternelle enfance

    Retomber en enfance est-il facile pour vous ? Certains refrains, certaines odeurs et saveurs nous projettent instantanément des années auparavant. Et que dire des retrouvailles autour d’une joute sportive ! Une cour arrière ou au beau milieu de la rue, un ballon et nous revoilà des gamins. Sur Internet, un groupe d’amis illustre parfaitement ce phénomène, les Dude Perfect. (Je ne parle pas d’eux uniquement parce que mes enfants insistent pour qu’ils fassent partie de cette chronique depuis des mois, promis !) Depuis 2009, Tyler, Garrett, Cody et les jumeaux Cory et Coby s’amusent à produire des vidéos de trick shots. Ils ont débuté

  • De Gaulle et nous

    Le 1er aout dernier, on a célébré le 80e anniversaire de l’appel du général de Gaulle aux Canadiens français. « L’âme de la France, lançait-il sur les ondes de la BBC, cherche et appelle votre secours, parce qu’elle trouve dans votre exemple de quoi ranimer son espérance en l’avenir, puisque, par vous, un rameau de la vieille souche française est devenu un arbre magnifique. » Réfugié à Londres après que la France du maréchal Pétain eut abdiqué son indépendance, le chef de la France libre comptait sur des effectifs faméliques. Il espérait rallier à lui, en France et ailleurs dans le monde, les femmes

  • La pauvreté du visage

    La pandémie du coronavirus nous aura invités toutes et tous à revêtir un masque destiné à protéger autrui contre la contagion de ce virus. Ces masques ne recouvrent toutefois que le bas du visage et point les yeux. Emmanuel Levinas a su mettre admirablement en relief, dans Totalité et infini, la dimension éthique des rapports proprement humains à partir de nos visages, faisant ressortir que la vulnérabilité de l’humain oblige. Notre visage est donné à la vision d’autrui, comme l’avait rappelé saint Augustin. Nous ne verrons jamais de nos propres visages que des reflets. Le « face à face » démontre en revanche qu’autrui

  • Addicte un jour, addicte toujours

    Ce n’est pas parce que j’ai rencontré le bon Dieu que ça veut dire que je ne suis plus une accro, une addicte, ou une dépendante — appelez ça comme vous voulez ! Si cette période covidienne de l’humanité dévoile le meilleur et le pire des cœurs et des esprits, elle le fait aussi pour la femme qui vous écrit.  Libérée ? Moi ? Oui, mais comme nous toutes — et tous aussi —, je suis prisonnière de ma chair qui ne souhaite qu’une chose : assouvir son désir du moment.  Certaines sont dans la « bonne alimentation ». D’autres dans le « surentrainement physique », moi, jadis, naguère,

  • universunivers

    Gang d’innocents !

    Avez-vous l’impression d’avoir été plus souvent victime ou bourreau dans votre vie ? Une victime fort probablement. C’est l’un des sentiments les plus également répandue à notre époque. Même si vous êtes un homme hétérosexuel, blanc et aisé financièrement, vous avez vraisemblablement subi le mal des autres d’une manière ou d’une autre. Pas besoin d’avoir été battu ou violé pour se sentir persécuté. La moindre microagression ou parole blessante suffit à nous convaincre de faire partie de l’Ordre des martyres. L’innocence (et non le bon sens) est la chose du monde la mieux partagée. Peut-être étiez-vous un « morveux », un « nerd » ou

  • Ariane BeauférayAriane Beauféray

    Y a-t-il du bon à l’Halloween ?

    Pour l’Halloween, ton voisin a érigé un énorme sorcier gonflable sur son terrain, à côté de traditionnelles citrouilles édentées. Équiterre te suggère de distribuer des dépliants sur le commerce équitable, Leucan te refile une tirelire de collecte et un chercheur en nutrition t’invite à réfléchir sur le fait qu’avoir « du plaisir à une fête peut se faire aussi avec des fruits et des légumes ». Et sinon, t’as des copains chrétiens qui retirent leurs enfants de l’école le 31 octobre, pour mieux déguster des bonbons barricadés chez eux en se déguisant en mère Teresa. Avant de renaitre sans bruit à la Toussaint, le

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