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Jusqu’aux limites du monde
Confins. Du latin confinium : « frontières ». Le Grand Confinement a eu l’heur de nous poser bien des questions, dont celles que je retiens ici : quel rapport entretenons-nous avec les lieux que nous habitons, avec ceux où nous nous réunissons pour travailler, avec ceux où nous prions en communauté ? Les limites qui bordent ces espaces sont-elles des entraves étouffantes ou un cadre duquel nous pourrions tirer grand profit ? * L’enjeu des limites, des frontières — ou parfois de leur absence — est peut-être l’un des plus formidables pour penser notre époque. Nous la pensons, cette époque, si souvent en termes relatifs au temps :
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Alexis Cossette-Trudel et le danger de QAnon
Facebook a pris hier la décision de fermer le compte d’Alexis Cossette-Trudel, un adepte du groupe complotiste QAnon et un des porte-paroles du mouvement de contestation des mesures sanitaires. Cette étoile montante des réseaux sociaux participe à un phénomène politique qui dépasse largement les enjeux liés à la crise de la Covid-19. Sa chaine YouTube, Radio-Québec, compte maintenant près de 120 000 abonnés ; ce chiffre a quadruplé depuis le début de la crise et il augmente de façon continue. Sa vidéo la plus virale a été vue par plus d’un demi-million de personnes, ce qui a poussé Radio-Canada à publier un article
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Mon fils sera-t-il athée ?
J’ai rendez-vous avec mon accouchement cette semaine. J’ai fini par me ranger à l’avis de mon médecin, qui voit dans ma grossesse un autre cas « à risques » nécessitant un déclenchement. Polyhydramnios oblige ! Je devrais être heureuse, contente, fébrile. Mais j’ai peur. Pas de l’accouchement comme tel… J’ai peur de l’absurde. Je me sens de retour à la case départ. Le début de la grossesse La case départ, c’est l’état psychologique qui m’a habité durant mes premières semaines de grossesse. Après mon mari, c’est mon père spirituel qui a appris le premier la nouvelle. « Che bello ! Sono molto contento ! », s’est-il exclamé. Mais
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Une Église qui n’est plus celle du pauvre
« Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n’ai fait ? […] J’en ferai une pente désolée ; elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces ; j’interdirai aux nuages d’y faire tomber la pluie. » Is 5, 4-6 Par deux fois en trois semaines, je me suis vu, faute de préinscription ou à cause d’une erreur de code, refuser l’entrée d’une église. Cette fois, j’en ai pleuré. Certes ce phénomène, parmi d’autres, raconte ce que devient une société quand elle a peur. Mais l’Église peut-elle se contenter de répéter la société ? Réfugié dans un café,
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Sans spectateurs
Le sport professionnel est souvent qualifié, à raison, de spectacle. Une bonne partie du divertissement provient de l’ambiance des arénas, de la nourriture, de la musique, des applaudissements et des huées, des mésaventures de la mascotte ou du trompettiste (chapeau bas au mythique Claude Scott). Arrive une pandémie. Qu’arrive-t-il lorsque l’auditoire devient essentiellement celui des amateurs derrière leurs écrans ? L’avantage du match à domicile disparait. L’absence du fameux 12e joueur laisse un vide flagrant. (L’expression anglaise « the 12th man » fait référence aux sports où chaque équipe doit habiller 11 joueurs sur le terrain et où l’impact d’une foule locale enthousiaste donne un réel avantage
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Le for intérieur
Corruptissima republica plurimae leges: «Plus l’État est corrompu, plus les lois se multiplient.» Cette phrase célèbre de Tacite (Annales, III, 27) visant la décadence romaine (Tiberius, Caligula, Claudius et Néron) rend brillamment comment faire fi des consciences. La décadence se trahit par la multiplication des lois, sa principale ennemie étant la conscience morale. « Pour moi, je considère, excellent homme, qu’il vaut mieux […] ne pas être d’accord avec la plupart des gens et dire le contraire de ce qu’ils disent – oui, tout cela plutôt que d’être, moi tout seul, mal accordé avec moi-même et de contredire mes propres principes » (Gorgias, 482 b-c). Hannah
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Je suis catholique pro-choix
Je suis pro-choix. Je suis catho, pratiquante. Et je suis pro-choix. Entendez-moi bien : je suis pro-choix. Genre un vrai choix. Parce qu’il y a de ces choix qui n’en sont pas. À la colonie de vacances où j’ai jadis travaillé, on les appelle les faux-choix. Comme lorsque tu proposes à ton enfant qui ne veut pas manger de fruit de choisir entre la pomme et la banane. Ou quand, de façon encore plus sure, tu offres à l’enfant qui ne veut pas s’habiller chaudement de mettre son chapeau ou de rester à l’intérieur. Ça donne souvent le résultat escompté : il est content
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Déplanification stratégique
Ça y est. Le confinement recommence peu à peu, mais cette fois par région. La métropole et la capitale semblent avoir une bonne longueur d’avance sur l’arc-en-ciel sanitaire. Vert, jaune, orange, rouge… préparez-vous à en voir de toutes les couleurs ! Comme à l’école, les mesures changent tous les jours et on ne sait jamais trop précisément si on est légal ou moral. Les deux choses étant souvent, mais pas toujours, en adéquation. 6, 10, 25, 50, 250… L’éthique est devenue une affaire de chiffres. Rester sur pause Avec toutes ces turbulences et ambivalences, difficile d’organiser un souper de famille, une
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Le virus est aux portes… ouvrons-les !
Il fallait s’y attendre : à l’heure où le virus frappe encore, on demande aux croyants un sacrifice plus grand qu’aux cinéphiles. Mauvaise nouvelle pour ceux dont la mission est d’en annoncer une bonne ! D’autant plus que tous les efforts de collaboration semblent avoir été vains. Le sentiment qui surgit est compréhensible : indignation face aux efforts non reconnus, déception face à une autre fragmentation de nos communautés, incompréhension quant à la difficulté de communiquer avec le gouvernement. C’est une réaction bien humaine, mais est-ce vraiment une réaction chrétienne ? Oui, nous avons fait preuve de responsabilité, mais est-ce que la charité nous
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Enfants à la maison : j’ai pris la porte
Comme bien des parents, j’ai passé les six derniers mois à la maison avec mes enfants. Ces six mois ont été remplis de joies, mais aussi de difficultés. Durant cette demie-année, j’ai épuisé toutes mes ressources parentales. J’ai utilisé toutes les techniques éducatives, j’ai relativisé, j’ai pesté, j’ai tempêté. J’ai pleuré aussi, de fatigue, mais également car « je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas » (Rm 7, 19). Trois malcommodes se sont régulièrement invitées chez moi. Malvenues, désagréables, toxiques même — j’ai tout fait pour me débarrasser d’elles. Je vous les
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Et si le suicide était une option?
À Marylène, qui me rappelle chaque année le combat de la vie « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. » – Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe J’espère que vous ne m’en voudrez pas de parler encore de suicide alors qu’une journée mondiale y a été consacrée jeudi dernier. De toute manière, on n’en parle jamais assez, semble-t-il… Le Québec, c’est environ trois suicides par jour et 1000 par année. Lors de cette journée du 10 septembre,
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Tu n’auras jamais à être parfait
Mon cher bébé, Il y a quelque temps, mon plus gros souci était d’avoir à gérer les réactions des gens à l’annonce de ton sexe, si tu t’avérais être un petit garçon. C’est qu’il y en a déjà quatre de ce genre qui te précèdent à la maison… alors ça fait réagir les gens, et souvent, ça m’énerve. Aujourd’hui, j’aurais envie de crier sur les toits que je t’attends, toi, mon fils. Que depuis ta conception, tu nous surprends. Que l’important pour nous, avec toi dans nos vies, ça ne sera pas la santé, parce que la tienne sera précaire.
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Spin doctor
C’est rien qu’une bande dessinée– Plume Latraverse Le technicien et moi on s’était mis de connivence. Le plan était d’attendre le moment qui la surprendrait le plus, qui la prendrait de court. Il a donc commencé comme d’habitude à vérifier les organes, mesurer le crâne, prendre la fréquence cardiaque. Puis il a demandé « voulez-vous savoir ou on vous garde la surprise ? » On voulait savoir. « Il a le spinabifida », qu’il a dit. Ça a fait son effet. Moi j’ai trouvé, pour être de circonstance, que ce n’était pas très professionnel, d’annoncer ça comme ça. Je lui ai bien laissé savoir. Mais
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Erin O’Toole : un chef inclusif ?
Je dois admettre que même si elle n’avait pratiquement aucune chance de gagner, j’aurais bien aimé voir Leslyn Lewis remporter la course à la chefferie du Parti conservateur du Canada dimanche dernier. Quelle face auraient alors faite tous mes amis « progressistes » à voir une femme d’affaires avocate noire immigrante se présenter contre un riche homme blanc hétérosexuel, incarnant cette classe de « privilégiés » comme nul autre. Mon rêve sera peut-être réalité dans quelques années. Entretemps, néanmoins, les membres du Parti conservateur ont tout de même réussi à élire celui qui a le plus de chance de renverser Justin Trudeau aux prochaines élections. Car
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Les petits écureux
Je n’ai jamais aimé les écureuils. Ils m’ont toujours fait peur avec leurs dents de rongeurs et leurs yeux globuleux. Comme plusieurs, je les considérais comme de la vermine. Ce sont probablement mes années à Montréal qui m’ont traumatisée — pas moyen de s’assoir tranquille dans un parc, il y en avait toujours un, puis deux, et soudainement douze qui te cernaient ! Beurk ! De retour dans ma Rive-Sud natale, j’ai vécu bien des années en faisant la guerre aux écureux dévoreurs de bulbes ! Puis, arriva le printemps 2020. Un printemps — comme je vous le disais — pas comme les autres.
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Y a-t-il une vie après le CHSLD ?
On parlait à la radio, ce matin, du combat de Jonathan Marchand. Cet homme de 43 ans, atteint de dystrophie musculaire et d’insuffisance pulmonaire, est contraint d’habiter dans un CHSLD pour être branché sur un respirateur artificiel 24 h sur 24. Il est posté, depuis mercredi, devant l’Assemblée nationale en guise de protestation et d’appel à l’aide. Je me suis dit qu’il réclamait probablement un assouplissement des règles pour l’aide médicale à mourir. Son handicap est trop lourd à porter, les critères sont arbitraires et inhumains, le gouvernement manque de compassion. Bref, le témoignage rempli de pathos qui réussit habituellement à
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Le poteau d’Hydro
Par la fenêtre de ma cuisine, j’ai pu admirer, tout au long de mon confinement, le jeu de séduction d’un petit couple de moineaux. Matin après matin, petit à petit, ils ont fait leur nid dans la cabane à oiseaux qu’on avait posée sur le poteau d’Hydro. Ce poteau m’a toujours dérangée. Ça fait 12 ans qu’on habite cette maison, et je n’ai toujours pas compris pourquoi Hydro a décidé de planter son poteau juste en face de ma fenêtre. Ils auraient pu le planter un peu plus à gauche — à peine deux mètres — et ça aurait tout changé.
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Fière mère au foyer
C’est moi, dont la vie est dépeinte comme le pire cauchemar de toute femme, moi dont les gens pensent à la fois que j’abuse du système et que je me pogne le beigne toute la journée, sans toutefois être capables de s’imaginer mon quotidien. C’est moi qui ne m’habille qu’en mou et qui ne suis, à ce qu’on dit, rien d’autre que la boniche de la maisonnée. C’est moi qui n’ai aucune valeur aux yeux de la société, parce que je ne rapporte rien dans les coffres des gouvernements. Moi qui n’ai pas compris que d’autres sont payées pour éduquer mes enfants
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Vague de dénonciations : avons-nous éduqué ?
Ça fait quelques nuits que mon sommeil est troublé. Je repense aux nombreux témoignages publiés quotidiennement sur les réseaux sociaux depuis plus d’une semaine. Je me dis que, finalement, les quelques expériences désagréables ou embarrassantes que j’ai vécues avec des hommes n’étaient pas si pires. « J’ai d’la chance », au fond. Et ça me démange d’écrire sur le sujet. J’ai hésité longtemps, par contre. Parce que je ne suis pas sociologue, ni sexologue, ni criminaliste. Je n’ai pas étudié la théologie du corps non plus. Je n’ai sincèrement, pour me donner un peu de crédibilité, que ma condition de femme et
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Pour en finir avec les deux capitaines
Bonhomme. Crounche. Crochet. Cosmos. Achab. Nemo. Haddock. Sparrow. Phasma. Caverne. Flam. Kirk. Patenaude. America. Aucun ne va à la cheville du capitaine d’une équipe sportive désigné glorieusement par son entraineur ou par ses pairs. Voilà un véritable héros. L’un de ces modèles s’avère toutefois en voie d’extinction : le capitaine de repêchage. Popularisé dans les cours d’éducation physique d’une époque pas si lointaine, ce concept demandait d’abord la sélection de deux élèves par le professeur. Nommés capitaines, ils avaient maintenant la tâche ingrate de choisir un à un les joueurs de leur équipe (de ballon prisonnier/chasseur, canadien, etc.). Les meilleurs partaient en premier,
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Révolutionnaire du dimanche
Découverte étonnante à Londres sur quatre fragments des manuscrits de la mer Morte. Grâce à l’imagerie multispectrale, des chercheurs ont révélé des caractères hébraïques invisibles à l’œil nu. Et sur l’un d’eux est même apparu un mot entier : shabbat ! Shabbat. Voilà un mot qui tombe à point. Tout porte à croire que la Providence voulait que les hommes l’entendent résonner de nouveau en notre temps hyperactif. Shabbat signifie « repos ». Mais qui dit repos dit aussi travail. Car le repos sabbatique libère l’homme de l’esclavage du travail. Après tout, le mot « travail » vient du latin tripalium, soit un instrument de torture auquel on attachait les esclaves pour les punir. L’homme
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Résister en chantonnant
Pour la première fois de notre histoire, on nous a interdit de chanter ! Il parait que quand on chante on se crache les uns sur les autres et tout devient commun, les passions comme les virus. Voilà comment le chant, de la même manière que les poignées de main, les mariages et le sexe, est devenu une activité mortelle : il favorise la communion. Bref, chanter c’est communier et communier c’est donner la mort. On se croirait dans une dystopie orwellienne où les mots en sont venus à signifier leur exact opposé. Interdire à un peuple de chanter, c’est l’empêcher de respirer. Nul
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Comment j’ai fait la paix avec la reine
Je n’ai jamais vraiment souligné la fête du Canada. Elle m’a toujours laissé indifférent, de même que le pays qu’elle évoque. J’ai le même rapport à la fête des Patriotes… Ou de la Reine : Un congé ? Pourquoi pas ? Le 1er juillet, sinon, est aussi la journée du déménagement. N’est-ce pas éloquent que la fête du Canada soit la journée des Québécois pour déménager ? Bon, vous allez dire que c’est parce que les baux se terminent le 30 juin et vous aurez raison. N’empêche qu’un gars comme Clotaire Rapaille dirait sans doute que c’est révélateur d’un certain inconscient collectif. Clotaire qui ? La fièvre bleue Beaucoup disent
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Au secours de la Saint-Jean-Baptiste
La fête de la Saint-Jean-Baptiste est le théâtre, depuis plusieurs années déjà, d’une ambigüité systémique. On fête une nation qui n’en est pas (encore) une. On souligne une fierté québécoise dont on oublie la source. Et les autorités insistent pour que le message soit inclusif et terne, parce que la plus grande crainte de ces fonctionnaires feutrés est de déplaire à quelqu’un. Dès lors, la table est prête pour le débat habituel. Ce jeu politique du consensus beige et de la plus basse platitude commune se trouve critiqué par les zélés de la cause souverainiste, et ceux qui insistent pour qu’on
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