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  • univers

    Le nombril du monde

    J’ai toujours été fier de mes origines. Selon la légende familiale, mon ancêtre, Étienne de Lessart, venait de Normandie et s’est installé en 1645 en Nouvelle-France sur les terres de la seigneurie de Beaupré. C’est d’ailleurs lui qui a donné le terrain de deux arpents sur lequel fut édifiée la petite chapelle qui deviendra le grand sanctuaire dédié à sainte Anne, où des miracles n’ont jamais cessé d’abonder. Comme moi, Étienne était francophone, catholique et colonisateur. (Il faut bien avouer que je suis un peu « colon » sur les bords !) Ces traits distinctifs m’aident à ne pas me sentir seulement comme

  • Je suis incapable d’être une mère

    Il y a un an, j’ai donné naissance pour la première fois. Le moins qu’on puisse dire, c’est que je ne me doutais pas du tout de ce qui m’attendait. Je n’avais aucune idée des difficultés devant moi. J’étais juste contente d’acheter des livres pour enfants en italien… Un peu naïvement, je me disais : la majorité des gens font des bébés et s’en sortent. Pourquoi serait-ce différent pour moi ? Pleine d’orgueil, je pensais même : « En plus, moi, je suis quand même vertueuse. Je n’ai pas besoin d’alcool, de télévision, de divertissements et j’aime la sagesse. Je suis meilleure que la

  • Tel père, telle fille

    Pour lancer notre saison radiophonique d’On n’est pas du monde, l’un de mes collègues est venu nous parler du film québécois Le guide de la famille parfaite.  La curiosité désormais piquée, je n’ai pas hésité longuement à le choisir lors d’une récente escapade netflixienne. Et je n’ai pas regretté une seconde (j’abonde entièrement dans le sens de la critique de mon autre collègue Florence). Comme parent, et j’oserais dire comme père, il m’a fait réfléchir sérieusement, d’autant que je venais de lire un livre de Meg Meeker sur la relation père-fille. Meg Meeker Meg Meeker est une médecin pédiatre spécialiste de l’adolescence. Plus de 30 ans d’expérience

  • Le temps de l’éternité

    L’été est déjà derrière nous depuis quelques semaines. Nous revoilà bien plongés dans le nécessaire mais potentiellement néfaste temps chronologique des obligations. Potentiellement néfaste si l’on oublie que le temps n’est pas seulement composé de secondes, de minutes, d’heures, de jours, de mois et d’années. Il est élastique, vertical, invisible, multidimensionnel. Il ne se réduit pas à la quantité ni à la linéarité. Les Grecs anciens avaient quatre notions du temps : Le chronos : celui de la succession et du découpage en minutes, heures, etc., celui de l’avant et de l’après (mais jamais du pendant). Le kaïros : du nom d’un dieu qui représentait

  • Attendez un peu avant de vous détester

    La crise sanitaire se prolonge. Les privations – consenties ou imposées – pèsent de plus en plus. La patience des uns et des autres tire à sa fin. Entre vaccinés et non-vaccinés, le ton se durcit. Sur la scène politique, la tension monte. Dans ce contexte, les meilleures relations sont mises à l’épreuve. Des proches qui avaient une relation chaleureuse en viennent à se détester. C’était déjà vrai quand on parlait des mesures de confinement et ça devient beaucoup plus vrai maintenant qu’on parle de passeport vaccinal et d’obligation vaccinale. Les enjeux ne sont ni légers ni abstraits. On parle

  • Les déracinés de l’été

    Selon le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), en date du 2 juillet 2021, plus de 500 ménages du Québec se sont retrouvés à la rue faute d’avoir pu trouver un logement. Derrière ce nombre, il y a des personnes : Une femme qui a la même adresse depuis 30 ans et qui a reçu un avis d’éviction pour rénovation. Un gros promoteur immobilier vient de racheter l’immeuble, qu’il souhaite diviser en plus petits appartements. Une famille venue d’un pays en guerre qui, dans sa recherche de logement, se heurte à la fois à la discrimination et à la rareté des grands logements. Un

  • univers

    Le remède Soljenitsyne

    Quatre ans après avoir été expulsé de l’Union soviétique pour avoir publié L’archipel du Goulag, l’écrivain Alexandre Soljenitsyne prononçait à l’Université Harvard un discours intitulé Le déclin du courage. Les élites intellectuelles d’alors ont été choquées par cette prise de parole dans laquelle il se posait en dissident, aussi bien des idéologies de « la foire du Parti » à l’Est que de « la foire du Commerce » à l’Ouest. Déjà en 1978, ce 70e lauréat du prix Nobel de littérature observait que le confort de la société occidentale commençait à « ôter son masque pernicieux ». Il discernait les symptômes d’une culture en décrépitude dans l’abrutissement télévisuel, l’absence de grands

  • Plaidoyer pour qu’on respire par le nez

    Bien que les gamins aiment rarement faire le ménage, il peut arriver qu’un enfant de trois ans à qui on a demandé de ramasser les jouets du salon soit concentré sur sa tâche au point de piquer une crise quand un de ses frères ramasse à sa place une auto qui trainait. Il peut aussi arriver qu’une hystérie s’ensuive, que les uns tapent sur les autres et que tous se mettent à crier, même les parents. On excusera ceux-ci de sauter l’étape du bain et du brossage de dents et de les envoyer se coucher avec pas d’histoire. Mais je

  • Ne manque que la finition

    « Et puis, tu as passé de belles vacances ? Tu t’es bien reposé, j’espère ! » Bien sûr. Il ne manque que quelques moulures, des rideaux, une ou deux tablettes. J’ai presque terminé de construire la chambre des gars, au sous-sol. Presque. Mais croyez-moi (notez ici l’effort d’autopersuasion), je vous jure que ça achève vraiment. Tout en bricolant, je méditais ces mystérieuses paroles d’un vieux prêtre italien à la paroisse, quand j’étais plus jeune : « Le Christ veut nous rencontrer dans le sous-sol de notre être. » J’aurais préféré au salon, c’est plus joli. Revenons à la finition. Cette ultime étape de chaque projet de

  • Pénurie de parents

    On entend beaucoup parler, depuis quelque temps, du manque criant de places en garderie. Ou plutôt de la pénurie de personnel, qui occasionne la limite du nombre d’enfants acceptés dans les milieux de garde. On accuse le gouvernement de ne pas agir, de maintenir des conditions de travail trop peu intéressantes pour les éducatrices, d’embourber ceux qui voudraient ouvrir des CPE dans les méandres d’une bureaucratie digne des 12 travaux d’Astérix. Oui, oui, et oui. D’accord. C’est bien vrai tout ça : ça prend de meilleures conditions de travail pour s’occuper des enfants, de l’avenir de notre société, de ces minichouchoux futurs payeurs

  • Le cégep : la croisée des chemins

    À mon frère, qui entre au cégep cette année Ces jours-ci, c’est la rentrée pour les étudiants du cégep. J’ai encore ma carte d’étudiante dans mon portefeuille, carte qui date déjà de 11 ans. Sur la photo, je porte mes boucles d’oreilles en forme de feuille de pot et ma chemise beige, qui me donnait un look hippie. J’ai le sourire fendu jusqu’aux oreilles et le regard légèrement vitreux… Un nouveau commencement. C’est ce que signifiait pour moi le cégep. Dès la fin du secondaire, je me suis sentie libérée. Libérée de la pression sociale. Libérée du désir de popularité. Je

  • Un embryon pour le ciel

    « Ce que je veux dire aux mamans qui ont perdu des enfants, c’est cela : nous avons été mamans, nous avons reçu ce don. Le temps n’importe pas : un mois, deux mois, quelques heures… Ce qui compte, c’est le fait que nous avons reçu ce don. Un tel don ne s’oublie pas. » – Chiara Corbella Quand j’ai appris que j’étais enceinte, un peu après la Pentecôte, j’ai ressenti une grande joie, non sans toutefois une certaine angoisse. « Un autre ? Le premier n’a que huit mois et je suis déjà tellement fatiguée. Comment ferons-nous ? Deux pauvres étudiants en philo sans travail fixe

  • univers

    Patience et « langueur » de temps

    Hormis les travailleurs de la santé et les livreurs d’Amazon, nombreux sont ceux qui ont eu l’impression de passer la dernière année à attendre : attendre la réouverture des salles de classe ou des salles à manger, attendre pour se faire tester ou vacciner, attendre pour se visiter ou pour voyager. Notre rapport au temps s’est allongé et notre patience a été plus d’une fois éprouvée. Pourtant, avant les mesures de guerre sanitaire, les jeux de démineur et de patience avaient perdu la cote. Résignation facile des faibles pour les uns, vice bourgeois du statuquo pour les autres, cette vertu d’un autre

  • Les corps intermédiaires

    Ce sera notre petit secret. Il m’arrive parfois, à la manière des gens qui se projettent dans d’inaccessibles fantasmes pornographiques, de regarder des philosophes débattre sur YouTube. L’autre jour, l’un d’eux rappelait que, pour la philosophe Hannah Arendt, l’État totalitaire avance en taille et en vigueur au fur et à mesure que les corps intermédiaires s’éclipsent. (Non, un corps intermédiaire n’est pas l’oreiller que votre épouse place entre elle et vous, tel un infranchissable récif corallien, pour éviter que vos pieds froids atteignent ses mollets sous la couette.) Les corps intermédiaires sont ces groupements humains – la famille, l’association du

  • Le solitaire sociable

    Vous en aurez peut-être rencontré un durant le dernier confinement : un érudit qui se vante de son amour de la solitude et se lamente de l’incapacité des « petites gens » à faire comme lui. Le même qui se plait à citer Blaise Pascal, affectant toujours bien sûr un petit air de dépit : « J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » Certains ont même profité du long confinement pour soutenir que l’homme véritablement accompli n’est pas par nature sociable.  L’ennui et non la nature, a-t-on écrit durant

  • J’ai déjà été apostat (juste une fois au chalet)

    « Il n’y a même pas cent personnes dans ce pays qui haïssent l’Église catholique. Mais il y en a des millions qui haïssent ce qu’ils pensent à tort être l’Église catholique » – Fulton Sheen L’apostasie fait de nouveau la manchette au Québec. Fidèle à son cycle d’à peu près trois ans, elle refait surface chaque fois qu’un scandale ou une polémique concernant l’Église catholique vient alimenter la machine médiatique. Ces jours-ci, c’est en raison des pensionnats autochtones.  Je pense que c’est on ne peut plus légitime que des personnes veuillent contester leur appartenance à une institution à laquelle ils n’adhèrent pas ou

  • univers

    Ces milliardaires qui veulent monter au ciel

    Dimanche dernier, à 71 ans, le milliardaire Richard Branson a fait un vol touristique d’une quinzaine de minutes dans l’espace. Plusieurs admirateurs y voient le signe d’une « nouvelle ère spatiale ». Le fondateur de Virgin n’est pas seul dans cette course et industrie galactique. Le président d’Amazon, Jeff Bezos, doit lui aussi s’envoler le 20 juillet avec son propre engin créé par sa société Blue Origin. Le père de PayPal et Tesla, Elon Musk, a pour sa part prévu de décoller avec sa compagnie Space X en septembre prochain. Ce sont des centaines de vols par année que ces trois compagnies souhaitent offrir sous peu…

  • Serge Bouchard : une voix, le soir

    Une voix impossible à oublier. Grave, chaude, juste. Servie par un propos cohérent, structuré, clair ; des réflexions simples mais riches, imagées. Un personnage aussi dont il savait jouer : chapeau à la Indiana Jones, barbe blanche, œil perçant, sourire complice et satisfait lorsque surgissait dans le flot de sa parole une idée audacieuse, une comparaison inattendue mais lumineuse. Avant de le croiser à la radio ou sur des plateaux de télé, Serge Bouchard a été pour moi une voix, le soir, quand je faisais la vaisselle. Les dimanches, je ratais rarement ses Chemins de travers. Un homme de médias, un pédagogue aussi,

  • Un transport en communion

    « Pouiches » C’est le terme qu’a utilisé Catherine Dorion pour qualifier les idées de la CAQ en matière de transports collectifs. Un caractère « pouiche » qui s’explique notamment par le fait que la ministre responsable de la Capitale-Nationale ne prendrait vraisemblablement jamais le bus. J’aime prendre régulièrement le transport en commun. Donc, suivant ce raisonnement, j’ai bon espoir de me prémunir contre le risque de développer des idées « pouiches » à ce sujet. Me voilà rassurée ! J’aime ça au point où ça peut sembler intrigant. Ça me plait même quand un parcours s’éternise. C’est même à se demander si je ne suis pas

  • Je suis nostalgique de nos vieilles amours

    Mon mari dit que je suis nostalgique de nos vieux jours. Faut comprendre que c’est un poète, mon mari.  Il dit ça parce que je deviens émue chaque fois que je vois un couple de vieux amoureux qui prennent leur marche en se tenant la main, que j’ai systématiquement le cœur lourd de penser qu’on ne vivrait peut-être pas ensemble aussi longtemps… Voilà.  C’est pour ça qu’il dit ça.  Chaque fois, c’est immanquable, je prends une voix aigüe, la même que lorsque je parle à mes bébés, et je lui dis : « Check! Ça, c’est toi pis moi, dans 50 ans ! »

  • Dérives libertaires

    À 14 ans, Camille Kouchner apprend que son frère jumeau est agressé sexuellement par leur beau-père, un professeur d’université très en vue dans les beaux milieux parisiens. Son frère souffre, mais il refuse de parler et demande à sa sœur de garder ce lourd secret. La familia grande (Seuil, 2021) ne raconte pas seulement l’histoire glauque d’un inceste et l’éclatement d’une famille, il décrit les valeurs troubles d’une « gauche caviar » – ce sont les mots de l’auteure. Un portrait à charge, certes, qui n’a cependant rien d’un pamphlet idéologique. Avec beaucoup de sensibilité, elle montre le versant sombre d’une pensée libertaire très

  • univers

    Crise de la santé ou de la vérité ?

    Je faisais mon bilan de la dernière année l’autre jour. Et puis ça m’a sauté au visage : je ne connais aucun mort, ni même aucun grand malade de la covid. Non pas qu’elle n’existe pas ! Mais dans mon cas, je n’ai pas été touché personnellement par cette crise médicale, ni dans mon corps, ni dans celui de ceux que j’aime. Pour moi, comme pour beaucoup d’autres, j’ai surtout vécu la crise par le biais des mesures et des médias. J’en déduis que, pour une bonne part d’entre nous qui ne travaillons pas dans le système de la santé,

  • #MeToo, le mariage et Dieu

    Lui ne m’a pas reconnu. Ça se comprend : c’était il y a 14 ans déjà. Comment me reconnaitrait-il à travers les allées du Métro, les charriots et les masques ? Sans compter ma poussette… Il ne sait probablement pas que j’ai maintenant un fils ! Je le trouvais beau. Je venais d’avoir 15 ans, c’était un gros party et j’avais pas mal trop bu (pour me donner le courage de lui parler).  J’ai été tellement malade !   J’avais la tête qui tournait, les idées confuses. Et je me suis retrouvée avec lui.  Je n’étais pas vraiment contre. Je l’aimais bien et j’espérais qu’il

  • La sècheresse

    Dans l’univers niché des sciences de l’espace (espace comme dans « ça prend de la place » et pas comme dans « la lune et les étoiles »), on trouve une branche dédiée à la diagonalité. C’est-à-dire l’étude des choses placées à angle par rapport à la perpendiculaire. Les livres dans une bibliothèque, les oranges dans un présentoir, etc. Cette science théorique trouve son application dans plusieurs idées pratiques, comme les stationnements à angle, là où les rues sont trop étroites. Ce modèle s’est multiplié, au point où l’on sait maintenant qu’une voiture obliquée prend moins d’espace que la même voiture perpendiculaire, le nez

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