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Le cégep : la croisée des chemins
À mon frère, qui entre au cégep cette année Ces jours-ci, c’est la rentrée pour les étudiants du cégep. J’ai encore ma carte d’étudiante dans mon portefeuille, carte qui date déjà de 11 ans. Sur la photo, je porte mes boucles d’oreilles en forme de feuille de pot et ma chemise beige, qui me donnait un look hippie. J’ai le sourire fendu jusqu’aux oreilles et le regard légèrement vitreux… Un nouveau commencement. C’est ce que signifiait pour moi le cégep. Dès la fin du secondaire, je me suis sentie libérée. Libérée de la pression sociale. Libérée du désir de popularité. Je
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Un embryon pour le ciel
« Ce que je veux dire aux mamans qui ont perdu des enfants, c’est cela : nous avons été mamans, nous avons reçu ce don. Le temps n’importe pas : un mois, deux mois, quelques heures… Ce qui compte, c’est le fait que nous avons reçu ce don. Un tel don ne s’oublie pas. » – Chiara Corbella Quand j’ai appris que j’étais enceinte, un peu après la Pentecôte, j’ai ressenti une grande joie, non sans toutefois une certaine angoisse. « Un autre ? Le premier n’a que huit mois et je suis déjà tellement fatiguée. Comment ferons-nous ? Deux pauvres étudiants en philo sans travail fixe
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Patience et « langueur » de temps
Hormis les travailleurs de la santé et les livreurs d’Amazon, nombreux sont ceux qui ont eu l’impression de passer la dernière année à attendre : attendre la réouverture des salles de classe ou des salles à manger, attendre pour se faire tester ou vacciner, attendre pour se visiter ou pour voyager. Notre rapport au temps s’est allongé et notre patience a été plus d’une fois éprouvée. Pourtant, avant les mesures de guerre sanitaire, les jeux de démineur et de patience avaient perdu la cote. Résignation facile des faibles pour les uns, vice bourgeois du statuquo pour les autres, cette vertu d’un autre
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Les corps intermédiaires
Ce sera notre petit secret. Il m’arrive parfois, à la manière des gens qui se projettent dans d’inaccessibles fantasmes pornographiques, de regarder des philosophes débattre sur YouTube. L’autre jour, l’un d’eux rappelait que, pour la philosophe Hannah Arendt, l’État totalitaire avance en taille et en vigueur au fur et à mesure que les corps intermédiaires s’éclipsent. (Non, un corps intermédiaire n’est pas l’oreiller que votre épouse place entre elle et vous, tel un infranchissable récif corallien, pour éviter que vos pieds froids atteignent ses mollets sous la couette.) Les corps intermédiaires sont ces groupements humains – la famille, l’association du
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Le solitaire sociable
Vous en aurez peut-être rencontré un durant le dernier confinement : un érudit qui se vante de son amour de la solitude et se lamente de l’incapacité des « petites gens » à faire comme lui. Le même qui se plait à citer Blaise Pascal, affectant toujours bien sûr un petit air de dépit : « J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » Certains ont même profité du long confinement pour soutenir que l’homme véritablement accompli n’est pas par nature sociable. L’ennui et non la nature, a-t-on écrit durant
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J’ai déjà été apostat (juste une fois au chalet)
« Il n’y a même pas cent personnes dans ce pays qui haïssent l’Église catholique. Mais il y en a des millions qui haïssent ce qu’ils pensent à tort être l’Église catholique » – Fulton Sheen L’apostasie fait de nouveau la manchette au Québec. Fidèle à son cycle d’à peu près trois ans, elle refait surface chaque fois qu’un scandale ou une polémique concernant l’Église catholique vient alimenter la machine médiatique. Ces jours-ci, c’est en raison des pensionnats autochtones. Je pense que c’est on ne peut plus légitime que des personnes veuillent contester leur appartenance à une institution à laquelle ils n’adhèrent pas ou
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Ces milliardaires qui veulent monter au ciel
Dimanche dernier, à 71 ans, le milliardaire Richard Branson a fait un vol touristique d’une quinzaine de minutes dans l’espace. Plusieurs admirateurs y voient le signe d’une « nouvelle ère spatiale ». Le fondateur de Virgin n’est pas seul dans cette course et industrie galactique. Le président d’Amazon, Jeff Bezos, doit lui aussi s’envoler le 20 juillet avec son propre engin créé par sa société Blue Origin. Le père de PayPal et Tesla, Elon Musk, a pour sa part prévu de décoller avec sa compagnie Space X en septembre prochain. Ce sont des centaines de vols par année que ces trois compagnies souhaitent offrir sous peu…
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Serge Bouchard : une voix, le soir
Une voix impossible à oublier. Grave, chaude, juste. Servie par un propos cohérent, structuré, clair ; des réflexions simples mais riches, imagées. Un personnage aussi dont il savait jouer : chapeau à la Indiana Jones, barbe blanche, œil perçant, sourire complice et satisfait lorsque surgissait dans le flot de sa parole une idée audacieuse, une comparaison inattendue mais lumineuse. Avant de le croiser à la radio ou sur des plateaux de télé, Serge Bouchard a été pour moi une voix, le soir, quand je faisais la vaisselle. Les dimanches, je ratais rarement ses Chemins de travers. Un homme de médias, un pédagogue aussi,
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Un transport en communion
« Pouiches » C’est le terme qu’a utilisé Catherine Dorion pour qualifier les idées de la CAQ en matière de transports collectifs. Un caractère « pouiche » qui s’explique notamment par le fait que la ministre responsable de la Capitale-Nationale ne prendrait vraisemblablement jamais le bus. J’aime prendre régulièrement le transport en commun. Donc, suivant ce raisonnement, j’ai bon espoir de me prémunir contre le risque de développer des idées « pouiches » à ce sujet. Me voilà rassurée ! J’aime ça au point où ça peut sembler intrigant. Ça me plait même quand un parcours s’éternise. C’est même à se demander si je ne suis pas
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Je suis nostalgique de nos vieilles amours
Mon mari dit que je suis nostalgique de nos vieux jours. Faut comprendre que c’est un poète, mon mari. Il dit ça parce que je deviens émue chaque fois que je vois un couple de vieux amoureux qui prennent leur marche en se tenant la main, que j’ai systématiquement le cœur lourd de penser qu’on ne vivrait peut-être pas ensemble aussi longtemps… Voilà. C’est pour ça qu’il dit ça. Chaque fois, c’est immanquable, je prends une voix aigüe, la même que lorsque je parle à mes bébés, et je lui dis : « Check! Ça, c’est toi pis moi, dans 50 ans ! »
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Dérives libertaires
À 14 ans, Camille Kouchner apprend que son frère jumeau est agressé sexuellement par leur beau-père, un professeur d’université très en vue dans les beaux milieux parisiens. Son frère souffre, mais il refuse de parler et demande à sa sœur de garder ce lourd secret. La familia grande (Seuil, 2021) ne raconte pas seulement l’histoire glauque d’un inceste et l’éclatement d’une famille, il décrit les valeurs troubles d’une « gauche caviar » – ce sont les mots de l’auteure. Un portrait à charge, certes, qui n’a cependant rien d’un pamphlet idéologique. Avec beaucoup de sensibilité, elle montre le versant sombre d’une pensée libertaire très
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Crise de la santé ou de la vérité ?
Je faisais mon bilan de la dernière année l’autre jour. Et puis ça m’a sauté au visage : je ne connais aucun mort, ni même aucun grand malade de la covid. Non pas qu’elle n’existe pas ! Mais dans mon cas, je n’ai pas été touché personnellement par cette crise médicale, ni dans mon corps, ni dans celui de ceux que j’aime. Pour moi, comme pour beaucoup d’autres, j’ai surtout vécu la crise par le biais des mesures et des médias. J’en déduis que, pour une bonne part d’entre nous qui ne travaillons pas dans le système de la santé,
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#MeToo, le mariage et Dieu
Lui ne m’a pas reconnu. Ça se comprend : c’était il y a 14 ans déjà. Comment me reconnaitrait-il à travers les allées du Métro, les charriots et les masques ? Sans compter ma poussette… Il ne sait probablement pas que j’ai maintenant un fils ! Je le trouvais beau. Je venais d’avoir 15 ans, c’était un gros party et j’avais pas mal trop bu (pour me donner le courage de lui parler). J’ai été tellement malade ! J’avais la tête qui tournait, les idées confuses. Et je me suis retrouvée avec lui. Je n’étais pas vraiment contre. Je l’aimais bien et j’espérais qu’il
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La sècheresse
Dans l’univers niché des sciences de l’espace (espace comme dans « ça prend de la place » et pas comme dans « la lune et les étoiles »), on trouve une branche dédiée à la diagonalité. C’est-à-dire l’étude des choses placées à angle par rapport à la perpendiculaire. Les livres dans une bibliothèque, les oranges dans un présentoir, etc. Cette science théorique trouve son application dans plusieurs idées pratiques, comme les stationnements à angle, là où les rues sont trop étroites. Ce modèle s’est multiplié, au point où l’on sait maintenant qu’une voiture obliquée prend moins d’espace que la même voiture perpendiculaire, le nez
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Raconter ses péchés pour être aimé
Dernièrement, j’ai été particulièrement touchée par deux entrevues, fort différentes de prime abord, mais en réalité tout à fait convergentes : la dernière chronique de Simon Lessard à On n’est pas du monde à propos du psychologue Conrad W. Baars et le témoignage de Clémentine à Tout le monde en parle. Simon Lessard a expliqué que, selon Conrad W. Baars, l’un des plus grands problèmes psychologiques de notre temps consiste en une « privation émotionnelle », c’est-à-dire un manque d’amour gratuit et inconditionnel. Le témoignage de Clémentine illustre cette thèse parfaitement, elle qui, par manque d’amour, s’est faite sugar baby, jusqu’à se voir entrainée malgré elle dans le réseau de la
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Tout le monde tout nu !
Avec tous ces débats autour des masques sanitaires et des voiles religieux ces dernières années, on pourrait réécrire le célèbre mot du Tartuffe de Molière : « Couvrez ce sein visage que je ne saurais voir: / Par de pareils objets les âmes sont blessées, / Et cela fait venir de coupables pensées. » Le masque et le voile. À contrecourant de la reconnaissance faciale qui s’implante et s’impose partout, les feux qu’attisent ces tissus faciaux mettent à nu nos hantises et envies de transparence. Révéler sa figure, ou seulement son profil, c’est choisir jusqu’où on accepte de se laisser voir et savoir. C’est trouver la juste
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L’inclusion c’est bien, la communion c’est mieux !
Je me souviens d’une sortie en sciences religieuses à laquelle j’ai participé à l’université. Un confrère de mon baccalauréat en enseignement y participait aussi. On sortait d’une église chrétienne réformée et on s’est mis à jaser dans le bus : – C’est beau le christianisme… Toi tu es chrétien, mais moi je ne pourrais jamais l’être. – Ah bon pourquoi ? – Parce que j’aime les gars. – Et alors ? – Eh bien… On ne peut pas avoir de sexe hors mariage. – Bah, c’est vrai aussi pour ceux qui sont attirés par les femmes ! – Ah ouais… vu de même… 17
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Le progrès sur une butte de terre
En cette ère d’ouverture à l’autre, d’éveils aux privilèges blancs, de mondialisation et du mélange des genres, on retrouve deux camps relativement opposés, qui ont chacun leurs mascottes attitrées. D’un côté, ceux qui choisissent l’ouverture, l’accueil sans réserve et le multiculturalisme et de l’autre, ceux qui pensent qu’il faut être ouverts aux autres mais là y a des limites tsé, faut se respecter en tant que peuple et s’affirmer. Dans le premier groupe, on retrouve des sbires de la trempe de Justin Trudeau, Marc Cassivi et compagnie. Dans le coin opposé, des vieux bandits à la François Legault, Mathieu Bock-Côté,
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Tag ton prêtre
La nouvelle est tombée avec grand fracas. Entre le bilan mortuaire de la journée d’hier et la saison en dents de scie de nos (pas si) Glorieux, on apprenait grâce aux confrères de Présence-Info que le Vatican préparait un excitant symposium intitulé Vers une théologie fondamentale du sacerdoce, prévu pour 2022. Bon. Avec grand fracas c’était peut-être un peu fort. En tout cas, on peut s’imaginer que l’annonce a ému la Société des théologiens spécialisés en ministères ordonnés dans l’Église catholique contemporaine (la STSMOÉCC), si jamais elle existe. Moi qui croyais que, médiatiquement parlant, la seule manière pertinente d’en parler serait d’attendre le prochain scandale
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L’art, vrai comme la vie
La question du sens, celle de la mort, du bien et du mal relèvent de la vie ordinaire. Voilà qui est fort important pour apprécier à neuf la pertinence et la profondeur de l’art, sa vérité, c’est-à-dire sa fidélité à la vie même de tous les humains. « La littérature s’occupe de l’ordinaire, écrivait James Joyce, ce qui est inhabituel et extraordinaire appartient au journalisme. » L’art s’adresse en effet à la dimension « ordinaire », plus « archaïque » de l’être humain. Même Kafka doit sa puissance au fait de dégager du fantastique de l’expérience ordinaire (par opposition à de la pure fantaisie). Résumons : le
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L’isolement de l’humanité
Dans un passage prophétique des Frères Karamazov, un mystérieux visiteur raconte que, pour refaire le monde à neuf, il faudra d’abord traverser la période de l’isolement de l’humanité. « Tout le monde dans notre siècle s’est séparé en unités, chacun s’isole dans son terrier, chacun s’éloigne des autres. » Les hommes pensent se sauver en s’isolant, mais c’est l’inverse : ils s’appauvrissent, deviennent malades et surtout désespèrent. « Chacun s’efforce d’isoler son visage le plus possible. Chacun veut ressentir en lui-même la plénitude de la vie, et pourtant, le résultat de tous ces efforts, c’est seulement le suicide le plus plein, parce qu’au lieu d’une définition pleine [nous
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Mourir seul
Avant d’être emporté par un cancer du larynx, le journaliste-écrivain Gil Courtemanche a écrit Je ne veux pas mourir seul (Boréal, 2011), une « autofiction » bouleversante. Bref récit d’un échec amoureux, le livre expose l’une des peurs qui nous habite tous : celle précisément de quitter ce monde dans une solitude noire, rongés par la culpabilité de ne pas avoir su aimer assez… J’ai repensé à ce livre et à sa noirceur avant les Fêtes. Les bilans quotidiens de la pandémie font état des décès, mais il n’est jamais question des heures qui précèdent ces disparitions. À la fin du mois de novembre, j’ai accompagné
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Les sacrifices
Tout indique que notre cœur est à l’hôpital. Pas qu’il soit malade, mais plutôt parce qu’on dirait que c’est là que nous mettons tout notre amour, toute notre énergie. Le Québec investit plus de la moitié de son budget annuel dans son système de santé. Pas étonnant, donc, que l’on attende de celui-ci rien de moins que le salut. Ce système, c’est notre petit trésor. Alors, il ne faudrait surtout pas qu’il se brise. Et on semble prêts à tout pour sauver notre sauveur. Au risque d’abimer au passage quelques-uns de ses travailleurs les plus essentiels. Les Avengers Les anges
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Ma caissière impopulaire
La caissière s’appelait Maxim. Avec ou sans e, je ne me souviens plus. En revanche, je me souviens très bien de ses boucles blondes, de ses yeux bleus immenses. Elle scannait cannages et panais tandis que je cherchais dans ma tête une blague pour la faire rire. Ma femme aurait de quoi s’inquiéter si ce n’était pas si fréquent. Mais elle sait que chez moi, c’est du quotidien. Ce n’est pas de la drague, c’est de la drogue. Compulsion irrépressible, faut que je déconne avec la personne derrière le comptoir. Je ne veux pas faire un numéro, ni lui demander
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