-
Retrouver le véritable sens du travail
Pour des dizaines de milliers de finissants au Québec, la rentrée de janvier annonce l’échéance fatidique du 1er mars. Ils ont jusqu’à cette date pour s’inscrire dans un nouveau programme d’études, au cégep ou à l’université. L’agenda des conseillers d’orientation va se remplir. Ils rencontreront des jeunes tourmentés par des choix qu’ils pressentent déterminants pour leur avenir. À cet âge, je nourrissais moi-même de grandes ambitions. Quand on me demandait ce que je souhaitais faire plus tard, je répondais sans gêne: «Journaliste internationale, première ministre du Québec ou représentante du Canada à l’ONU.» Aujourd’hui, mon activité est plus modeste que ce
-
Intelligence artificielle: la désincarnation du monde
Certains développements de l’intelligence artificielle ont récemment fait leur entrée dans la vie du commun des mortels. En effet, des plateformes qui, sur la base de commandes assez simples, génèrent du texte et des images avec un niveau de sophistication assez élevé sont devenues accessibles, permettant l’expérience d’une réalité dont la plupart n’avaient jusqu’à maintenant qu’une idée confuse et superficielle. En ce qui a trait à l’image, plusieurs plateformes ont retenu l’attention, notamment Midjourney. Demandez-lui une église à la manière de Picasso, par exemple, et vous l’aurez en quelques instants, en plusieurs versions. Les usagers qui sont prêts à payer
-
«La vie spirituelle semble condamnée à disparaitre des établissements scolaires»
À la veille de la rentrée, l’automne dernier, nous avons appris le décès d’un éducateur employé par l’école secondaire où je travaille. Comme animatrice de pastorale, mon rôle était clair: je devais assurer l’accueil et l’accompagnement des jeunes touchés par cet événement. Pour certains, ce serait le premier contact avec la mort. En plus d’être ébranlés par la perte d’un proche, ils risquaient d’être troublés en se découvrant, eux aussi, mortels. Je venais de terminer de décorer la chapelle pour l’arrivée des élèves. À travers les tournesols et le matériel scolaire déposés au pied de l’autel, j’ai ajouté la photo
-
Mes listes de Noël
Viendra bientôt le moment où, en famille, proche et élargie, on se posera des tonnes de questions gravissimes : il faudra, qu’on le veuille ou non, décider de ce qu’on fera à Noël. Et ça va brasser. Et ça va chialer. Et, avec un peu de chance, ça va finir par une embrassade et un pardon mutuel des belligérants. Pandémie oblige, on y a échappé l’an dernier. Mais cette année, devra-t-on recevoir tante Nathalie-qui-picole-un-peu-trop ? Se taper la visite de ton frère, de sa blonde et de leurs adorables morveux ? Et le 24, on va chez tes parents ou chez les miens ? Et le 25 ? Et
-
Le vide infini de New York
L’été dernier, je suis allé à New York pour la première fois afin de visiter mon collègue et ami Benjamin. Après le vertige euphorique que provoquent les tours de la City, j’ai rapidement éprouvé une autre nausée. La ville qui ne dort jamais est follement démesurée: trop vite, trop riche, trop bruyante, trop grande. L’offre de commerces et d’activités parait illimitée. Benjamin m’a fait remarquer qu’il est humainement impossible d’essayer tous les restaurants, car il s’en trouve qui ouvrent et ferment chaque jour. En avançant dans les rues, j’avais la même impression qu’en faisant défiler ma page Facebook: une nouveauté
-
J’étais soule à ma première messe de Noël
[Attention : les lignes qui suivent pourraient choquer certains cœurs purs. Nous préférons vous en avertir.] J’ai 17 ans, c’est Noël et je réveillonne dans la famille de mon chum. Est-ce par défi, par gêne ou par ennui que je suis soule? Je ne m’en souviens plus. C’est peut-être aussi tout simplement pour supporter la treizième partie de Loup-Garou à laquelle je participe, avec grand-papa-incapable-de-se-souvenir-des-règlements et mon’oncle-qui-fait-des-blagues-louches-quand-tout-le-monde-a-les-yeux-fermés. – (En regardant attentivement sa carte) Juste de même, ça fait quoi, déjà, la sorcière? – (Après un long soupir de tout le monde) Bon, on va brasser et redistribuer les cartes, comme grand-papa
-
La débilité naturelle
De l’année qui s’achève, les livres d’histoire retiendront la guerre en Ukraine, l’inflation et le trépas de Sa Majesté la reine. Des évènements sur lesquels les citoyens lambdas n’ont que peu d’emprise, n’est-ce pas? Mais il y a aussi tous ces jougs que l’on s’impose soi-même, tous ces esclavages modernes qui nous détruisent à petit feu et auxquels nous adhérons en concédant chaque jour des parcelles de notre liberté, voire de notre humanité. Ainsi, par nos achats sur Amazon, nous nous serions libérés du cordonnier grognon au bout de la rue; par la porno, nous nous serions délivrés des maladies vénériennes
-
Faut-il diaboliser l’Halloween ?
Avec l’Halloween, la Toussaint, la Commémoration des fidèles défunts et le jour du Souvenir, on entre officiellement dans la courte saison des morts. Les feuilles sont tombées, la lumière décline et le froid s’installe. Météo oblige, qu’on soit croyant ou pas, chacun est contraint en ces temps gris de méditer sur sa condition mortelle. «Tu es poussière, et à la poussière tu retourneras.» (Gn 3, 19) Avouons-le, ce memento mori annuel a quelque chose de franchement décapant et, en même temps, de bienfaisant. Car ceux qui refusent de penser leur mort risquent de rater leur vie. En effet, la vie
-
Ne pas prêter serment au roi: nationalisme de salon ?
La détermination de Paul St-Pierre-Plamondon à ne pas prêter le traditionnel serment d’allégeance au Roi Charles III a, dans les dernières semaines, fait beaucoup jaser. Enfantillages, quête d’attention médiatique pour les uns, élément déterminant d’affirmation nationale pour les autres, le zèle de Paul St-Pierre-Plamondon a fait des petits, si bien que le Parti québécois s’est adjoint Québec solidaire dans la lutte. Il demeure pourtant que cet enjeu est porteur d’implications plus larges qu’on ne pourrait le croire au premier abord. Le chef du Parti Québécois a raison lorsqu’il soutient que cette question, en apparence cosmétique, n’a rien de banal ou
-
Miséricorde et vérité se rencontrent
Les abus sexuels et culturels aussi bien de l’Église que de l’État nous posent collectivement la difficile question de la réconciliation. Faut-il choisir entre justice ou miséricorde? Pardonner serait-il la faiblesse de ceux qui n’ont pas la force de se venger pour rétablir la justice, comme le pensait Nietzsche, ou encore une astuce de criminels pour s’exempter de procès et de peines? Nullement. Le pardon véritable ne peut et ne doit jamais faire l’économie de la justice. Le sacrement du pardon dans la tradition catholique en est un exemple éclairant. Pour qu’il y ait véritable réconciliation, le pénitent doit nécessairement accomplir
-
À corps perdu
«Je ne peux pas sortir ton corps de ma tête», chantait le groupe de rock alternatif Presidents of the United States of America («Body», 1995), non sans arrière-pensées grivoises. Fait marquant, ces musiciens gravement déjantés s’étaient imposé la limite de jouer avec des instruments volontairement amputés: une batterie minimaliste, une guitare à trois cordes et une basse à deux cordes. Quand on dit que la contrainte stimule la créativité! En comparant la three-string guitar de Dave Dederer avec le balai que prend mon fils de deux ans pour imiter la rock star sur la scène improvisée de notre salon, je
-
Finalement, je n’aime toujours pas travailler
Dans un autre billet, j’ai confié qu’adolescente, je n’aimais pas travailler. Et malgré la conclusion de ce dernier texte, je crois encore qu’un adolescent ne devrait pas en un certain sens aimer travailler. Je m’explique: c’est qu’un jeune ne doit pas prioritairement apprendre le travail, mais plutôt le loisir. «Apprendre le loisir? Pas besoin! C’est facile! Tous les jeunes aiment le loisir!», me répondrez-vous. Pas du tout en fait. Mais il convient pour le voir de distinguer loisir et divertissement. Et même, avant cela encore, travail et loisir. Travail et loisir On appelle «travail» aujourd’hui tout ce pour quoi on
-
Un restaurationnisme catholique ?
Dans un récent entretien, le pape François abordait une diversité d’enjeux et formulait de fermes correctifs à l’égard de certains courants de l’Église. Plusieurs questions ont été touchées. Il a notamment abordé le conflit russo-ukrainien, naturellement, mais il a aussi et surtout parlé de l’état de l’Église catholique dans deux pays bien particuliers, l’Allemagne et les États-Unis. Les propos du pape François sur la situation différenciée du catholicisme dans ces deux sociétés ont quelque chose de très intéressant, et on peut raisonnablement penser que ses réflexions n’ont pas été présentées de façon arbitraire. D’un côté, l’Église catholique en Allemagne connait
-
Je n’aimais pas travailler
À 14 ans, mon père m’a dit qu’il était temps pour moi de trouver un « petit travail », question de devenir plus responsable et d’apprendre « la valeur de l’argent ». J’ai été engagée au McDonald… et renvoyée après 3 mois. Il parait que je manquais de dynamisme et que je ne souriais pas assez aux clients. L’été d’après, j’ai obtenu un travail dans un magasin de vêtements pour jeunes filles. Je peux me vanter d’avoir été la seule employée de toute l’histoire de ce Garage à n’avoir jamais travaillé sur le plancher. Parait que c’était mieux de me garder à l’arrière, à défaire des
-
De la dénonciation au pardon
Je viens de me lever après une nuit médiocre, passée aux côtés de mon nouveau-né. On est en plein mois de juin, c’est la canicule, le soleil qui passe à travers la fenêtre m’éblouit. Je tente de me réveiller en faisant défiler les nouvelles sur mon fil d’actualité Facebook. Soudainement, le visage d’un oncle apparait. Je lis les mots « décédé », « covid ». Pour moi, c’est la fin du monde : il y a six ans, j’avais porté plainte contre lui pour agression sexuelle. Le procès devait avoir lieu dans les prochaines semaines. Je fige. Tout ça pour rien? La charité mal placée
-
Espérer contre toute espérance
« On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des épidémies. » – Luc 21, 10-11 Ces temps-ci, avouons-le, l’ambiance est de mort. Menaces climatiques, sanitaires et nucléaires s’accumulent. Et pourtant… rien de réellement nouveau sous le soleil du printemps. La mythologie raconte qu’à l’origine du monde, Pandore ouvrit une boite de laquelle sortirent tous les maux qui accablent l’humanité : maladie, guerre, misère et folie. Seule Elpis (« espoir » en grec) ne put s’échapper, la jeune femme ayant refermé le couvercle à temps. Toute l’Antiquité s’est ensuite demandé
-
«Mère Teresa», l’insulte de François Legault
La manière dont François Legault a traité la député Christine Labrie de «Mère Teresa» met en évidence une vision clientéliste et individualiste de la vie en société. « Mère Teresa ! » Le 17 mars 2022, au Salon bleu, François Legault a fait usage du nom de cette sainte femme d’une manière pour le moins étonnante ! En guise d’insulte, le premier ministre l’a balancé sur un ton méprisant à Christine Labrie, de Québec solidaire, en réaction à une allocution où elle prenait la défense de Ma place au travail, un mouvement présent cette journée-là à l’Assemblée nationale. Ce dernier a été fondé par des parents
-
Ces ados qui travaillent trop
Sur la route, au retour d’un voyage, je m’arrête dans un McDonald’s pour que ma fille puisse se dégourdir les jambes. Je termine ma crème glacée quand mon regard est attiré par une scène étonnante : un garçon haut comme trois pommes — j’exagère à peine — est en train de nettoyer les tables. Avec son uniforme format mini, il a l’air déguisé pour Halloween. Je n’ose pas lui demander son âge, de crainte qu’il soit atteint d’un retard de croissance quelconque. Je trouve un prétexte pour l’aborder et je me lance : il a treize ans. En réalité, ça ne me
-
J’aurais voulu être humoriste
J’ai un rêve dont j’ai honte : celui de devenir humoriste. Le rêve est né par accident, quand j’étais encore au Cégep. Durant le dernier cours de littérature, le professeur nous a demandé de présenter un numéro de standup devant le reste de la classe. Je ne voyais pas trop le rapport avec le but du cours (communiquer des idées en lien avec le programme « science nature »), mais je me suis lancée, non sans un certain enthousiasme. J’ai tiré l’essentiel de mon inspiration pour mon standup de la réflexion d’un collègue, qui m’a dit un jour : « J’aime me faire chier toute
-
Vous n’aurez pas mon pays
C’était hier, et pourtant, c’était il y a six ans. Le 13 novembre 2015, des commandos islamistes coordonnent des attentats à Paris et en sa périphérie. Une première bande de terroristes se fait exploser à côté du Stade de France. La deuxième tire à bout portant sur des terrasses dans le centre de Paris. Mais c’est le troisième commando, lancé à l’assaut de la salle de spectacle Le Bataclan, où a lieu un concert rock, qui fait le plus de dégâts et marque le plus les esprits. Au milieu des morts et des blessés, un jeune homme affalé par terre : Victor Rouart. Gravement
-
Au-delà du bobo
Je dois m’en confesser. Je suis bobo, bourgeoise-bohème à mes heures. Il m’arrive de me flatter l’égo à coup de kombucha biolocal dégusté dans ma tasse réutilisable. « Tu vois comme tu fais consciemment de bons choix pour la planète ! » Je dois l’avouer, le petit café écoresponsable un brin hipster du centre-ville est le genre d’endroit où je me plais à passer mes temps libres. L’ambiance y est parfaite pour démarrer une lecture sur la simplicité volontaire ou encore pour m’épancher dans une discussion sur mon écoanxiété. Non loin de là, des gens se relaxent sur leur toit-terrasse privé verdoyant d’un
-
Les petites trahisons. Méditation du Mardi saint
Si je voulais m’engager à dresser une liste de ce qui caractérise notre époque, trôneraient en tête de palmarès deux items : la difficulté à s’engager et l’omniprésence de listes. En homme bien de mon temps, je propose donc une liste de nos désengagements, qu’ils soient bénins ou misérables. C’est une vérité de La Palisse : l’ère est aux listes. Top 5 des plus beaux spots à visiter durant vos vacances en Gaspésie. Trois choses essentielles à savoir avant de dater une fille sur Tinder. Les 10 crop-tops incontournables à mettre dans votre garde-robe cet été. On rédige des listes et, pour se donner l’impression qu’on
-
Le paradis de la bonne conscience
Londres – 6 juillet 1535. L’humaniste anglais Thomas More est décapité parce qu’il ne peut en conscience reconnaitre que son roi Henri VIII est au-dessus de toute loi. « Le sujet loyal, croit-il, est plus tenu d’être loyal envers sa conscience qu’envers toute autre chose. » Cet accord avec soi-même est, selon Hannah Arendt, le point de départ aussi bien de toute la logique que de la morale occidentale. Toutefois, notre conscience morale ne bénéficie point du charisme de l’infaillibilité. C’est pourquoi elle doit être bien formée. Sir More voyait d’ailleurs la formation de la conscience comme « le fruit d’une éducation dans la vérité ». Ceux
-
La meilleure part
Chaque fois qu’elle part en voyage, Brigitte Bédard rencontre des difficultés qui s’avèrent toujours être des moments de grâce. Alors qu’elle était en France pour la tournée promotionnelle de son récent livre Je me suis laissé aimer…, elle nous offre ce troisième et dernier épisode de ses carnets de voyage (pour lire le premier, c’est par ici). Presque 7 h. Dans le train pour Caen. Je laisse derrière moi Laval, traversée par La Mayenne qui longe son château fort. Beau Pays de la Loire. C’est la troisième nuit que je ne dors que quatre petites heures. Comment je fais pour tenir debout ? Certains
Page précédente